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Comment vivre au quoditien

La persistance de soi dans la maladie d’Alzheimer

Voici des extraits du rapport de stage : « La persistance de soi. immersion dans une unité fermée » présenté par Emel Aliev sous la direction de Madame Zajde. Université de Paris 8- Ufr de Psychologie.

Devant la porte d’entrée de l’établissement se tient Monsieur G. assis sur son fauteuil roulant, le soleil scintille et illumine son visage. Je le salue, ses yeux me répondent, et quelques sons presque inaudibles s’échappent, je comprends qu’il me salue en retour. Puis, je pénètre en ces lieux qui me semblent encore endormis. Le hall d’entrée est vide et je suis prise par une odeur âcre, inconnue, désagréable. Elle est si forte que j’ai besoin de respirer par la bouche un instant. Un homme s’avance vers moi, il se présente c’est Monsieur D, le directeur de l’établissement. Je me présente à mon tour Emel ALIEV, psychologue stagiaire. Il prend le temps de me conduire à l’étage au bureau de F. ma tutrice qui m’accueille avec un sourire et un regard chaleureux. Ici, dans ce bureau, l’odeur m’a lâchée.

Après quelques explications sur le déroulé de cette première journée, elle m’invite à aller prendre un café. Nous longeons le premier couloir qui nous mène à la cuisine au bout d’une dizaine de mètres, l’odeur me pique le nez, elle m’a retrouvée. Mon attention est captée par les cris de Madame M, qui martèle : « Madame ! Madame ! Madame ! » F. s’arrête, avec douceur et bienveillance elle lui prend la main et dit : « Bonjour ». En retour, Madame M. lui embrasse la main, tandis que F. lui caresse les cheveux en la rassurant, lui promettant de repasser. Ce baise main, je l’apprendrai bien vite, est une marque de reconnaissance, de gratitude des résidents envers F. et j’aurai aussi droit à cette marque d’affection tout au long de mon stage.

L’odeur est là et me suivra toute la journée. Bizarrement, je m’y habitue et l’oublie presque à chaque rencontre d’un résident. L’heure du Staff quotidien sonne, tout le personnel de chaque unité se réunit pour évoquer les nouvelles du jour et de la veille. C’est l’heure des plaintes, des informations générales, des décisions à prendre, des suivis particuliers. Chaque cas de résident qui pose question ou problèmes est discuté en vue de trouver une solution.

Le reste de l’après-midi sera dédié à des entretiens cliniques, suivi d’un atelier thérapeutique sur le thème du « journal de la résidence », encadré par F. et coanimé par l’animateur de l’établissement.

A chaque arrivée, le même rituel. Je passe en mode « apnée » dès que je franchis les portes vitrées. Monsieur G. sera souvent le premier à m’accueillir aux portes de l’établissement. Il accueille le jour et respire l’air frais du matin. Il ne dépassera jamais ce bout de trottoir qui est une fenêtre vers un monde différent. Il est résigné et se sent en sécurité dans cet espace nouveau qui compose sa réalité. Quand j’approche au loin, je le vois scruter les voitures, regarder les passants. qui s’affolent pour aller travailler. Un établissement scolaire non loin déverse son flux de collégiens. Je le vois les regarder au loin. A quoi pense-t-il, à ses jeunes années ?

Je rejoins ma nouvelle réalité, un moment suspendu où le temps semble s’écouler plus lentement. Premier rituel de la journée, j’accède au bureau et y retrouve F. qui prend connaissance des transmissions de la nuit ou du week-end. Elle y lit trop souvent un décès…elle priorise les cas les plus difficiles pour faire ses entretiens. Seule face à 90 résidents qu’elle tente de soutenir et de rassurer. Elle jongle entre les entretiens cliniques, les ateliers thérapeutiques, les réunions, les formations aux soignants, le soutien aux équipes, le soutien aux familles. Toutes ses interventions sont emplies de bienveillance et de patience. Elle a des gestes doux et rassurants. Le touché est essentiel dans son approche. Elle m’expliquera que tous les soignants de l’EHPAD sont formés au concept et aux gestes de « l’humanitude ». L’humanitude est une approche des soins crée en 1995, par Rosette Marescotti et Yves Gineste. C’est aussi une philosophie du lien, du soutien et de l’accompagnement dans laquelle chacun est considéré comme quelqu’un d’autonome à vie, qui peut faire ses propres choix et sait ce qui est mieux pour lui. Cette méthodologie est fondée sur un certain nombre de principes dits de « bientraitance » : le regard, échangé doit être tendre, la parole est indispensable lors de l’exécution d’un soin même si le patient ne peut pas répondre, le toucher est au cœur de cette approche comme un rappel et une confirmation de la présence au monde du résident, particulièrement lorsque la parole n’est plus.

La base du métier de psychologue est l’entretien clinique. Les entretiens se construisent et se déconstruisent dans différents lieux en EHPAD. Souvent réalisés au sein même de la chambre du résident, parfois lors de promenade dans les petits jardins ou lors d’un moment de détente à la cafétaria.

Madame B, ravie de chacune de mes visites me proposait des gâteaux à chaque entretien. Madame P, c’étaient des chocolats. D’autres, même s’ils n’avaient rien dans la chambre, en exprimaient l’intention. J’ai eu plusieurs invitations à la cafétaria et j’ai invité plusieurs fois. Je trouve que cela participe à l’alliance thérapeutique. Mettre le résident à l’aise, lui offrir une douceur en fait partie. Je n’ai rien inventé, c’est F. qui agit ainsi, avec pour mot d’ordre bienveillance et bien être des résidents. Pendant un certain temps elle m’a « initié », puis lâché pour mon entretien en solo. Je ne vous cache pas que mes mains étaient moites et mon cœur cherchait à s’enfuir mais j’y étais…ce pour quoi je me battais depuis 4 ans. Je demande un dernier conseil à F. avant de quitter le bureau en direction de la chambre de P. elle me répond juste : « ne t’inquiète pas tu connais la méthode, demande-lui comment elle va et le reste suivra ». En effet, le premier saut je m’en souviendrais à vie, j’ai joué mon premier rôle de psy ! Alors évidement ce n’était pas parfait loin de là. J’ai été embarquée dans les émotions, j’ai eu des difficultés à me distancier des propos de la résidente mais quand même, j’ai géré ! J’ai réussi à placer les différents temps, et même à conclure en résumant et en proposant un nouveau rendez-vous. Evidemment F. a veillé à me proposer un suivi simple sans enjeux majeurs. Elle a tout mis en place afin que ce premier entretien soit une réussite pour moi et je l’en remercie. Puis, mon co-stagiaire A, est arrivé, nous étions deux à renforcer l’équipe et à répondre aux sollicitations de suivi des résidents.

Les ateliers thérapeutiques auxquels j’ai participé régulièrement sont les ateliers chants et percussions au sein de l’unité fermée. Lors de ces ateliers j’ai pu constater les effets bénéfiques de la musique sur les résidents. L’unité compte 15 résidents qui souffrent de la maladie d’Alzheimer à un stade modéré voire sévère. Ils sont placés dans cette unité afin d’être protégés. L’accès à l’extérieur est limité et possible uniquement accompagné du personnel ou de la famille. Les résidents présentent une forte désorientation spatio-temporelle, des pertes mnésiques et des troubles psycho-comportementaux avec beaucoup de déambulations qui nécessitent la surveillance 24h/24h par une équipe dédiée.

Lors des différents échanges avec Coco, Mr Le proviseur, le couple Mr et Mme D, j’ai pu constater que malgré leurs atteintes mnésiques et leurs troubles associés, ils recherchent le contact et les interactions. Ils présentaient à chaque séance de l’enthousiasme à fredonner les airs d’antan et à reproduire des rythmes enflammés ! Au-delà de toute prouesse musicale, la musique et le chant semble jouer un rôle apaisant.  En effet, durant les séances, les résidents parvenaient à s’écouter, à chanter et jouer ensemble. Même si à chaque séance ils ont oublié la précédente, ce qui m’attristait au début, le plaisir pris dans le moment présent semblait si intense que ma tristesse a laissé rapidement la place à de la joie.

Lors de ces séances, on constate à quel point la mémoire procédurale est à l’œuvre et reste encore en partie préservée malgré l’avancée de la maladie Alzheimer On pense souvent qu’une nouvelle mémorisation est impossible à un stade avancé dans la maladie Alzheimer. Néanmoins, comment expliquer que certains résidents de l’unité se rappelaient de moi d’une visite à l’autre ? Alors que J. oublie m’avoir demandé une cigarette 2 minutes avant, elle se rappelle de moi et de ma visite la veille. 

Au-delà de ce que j’ai pu leur offrir, ce que j’ai surtout constaté c’est l’étendue de ce qu’eux m’ont apporté. En effet, chargée de toutes mes représentations sur la maladie Alzheimer et notamment sur les EHPADs et les unités fermées, je pensais venir et leur donner de mon temps, de mon écoute, de ma bienveillance, de mon intérêt. C’est finalement l’inverse qui s’est déroulé. Tout d’abord toutes mes représentations sur la maladie Alzheimer ont volé en éclat.

Ma première visite en terre inconnue m’a troublé. Je reste bien derrière F. tandis que l’on pénètre dans l’unité. Les résidents sont installés dans la salle commune. Certains sont endormis dans leurs fauteuil tandis que d’autres discutent. Un petit groupe est assis autour de G. l’aide-soignante et se prête à du coloriage. Soudain, mes univers se superposent et je revois en eux mes élèves de moyenne section tentant de colorier sans dépasser. Je suis attendrie par ce souvenir et me dirige instinctivement vers Madame D. qui s’inquiète de bien colorier. Je pose ma main sur son épaule et lui dit que c’est parfait, tout juste ce qu’il faut. Je poursuis mon exploration et papillonne d’un résident à l’autre. Chacun m’interpelle, J. me demande pour la première fois une cigarette, Monsieur et Madame D. me demandent qui je suis et si je vais revenir souvent les voir car ils s’ennuient. Madame X s’inquiète de savoir si sa fille la trouvera. 

F. me présente à chacun « je vous présente Emel psychologue stagiaire, elle va m’aider dans mon travail tout en apprenant le métier, elle viendra souvent vous voir seule ou avec moi » le cadre est ainsi posé. Mon mémoire porte sur la persistance de l’identité des patients Alzheimer au sein des unités fermées.

Je découvre que les résidents de l’unité sont « normaux » bien différents des représentations construites d’après les médias et les « ont dit ». Ils sont souvent décrits comme violents, cherchant à s’enfuir, en proie à des crises spectaculaires, déambulant sans cesse. Certes ils ont des troubles de la mémoire et des troubles associés mais ils sont toujours des êtres humains et non ces zombies que l’on nous décrit. Ils ne sont pas que des personnes gémissantes, incohérentes et angoissées. Ils sont capables d’échanger et ils ont surtout besoin de relation, d’affection et d’attention. Plus ils sont entourés et contenus, moins ils présentent de symptômes psycho-comportementaux. 

Comme l’écrit Colette Roumanoff « Le patient Alzheimer est voué au présent et à l’essentiel. On a beaucoup à apprendre de lui, nous qui sommes toujours en train de fuir dans un passé reconstitué sous des discours fallacieux ou dans un avenir incertain qui reste le lieu privilégié d’un bonheur insaisissable. »

Monsieur le Proviseur me demande si « la serveuse » peut lui apporter un café. Il me dit qu’il attend depuis longtemps, qu’il a faim et que personne ne lui a rien donné. L’aide-soignante m’assure qu’il a très bien déjeuné à 9 h. Je comprends qu’il ne s’en souvient pas…je lui propose une tasse de café, il répond : « Oui, volontiers ». Il m’explique qu’il était proviseur, directeur d’un IME. « J’en ai aidé beaucoup des enfants, vous savez », il m’explique que maintenant il est bien ici mais qu’il y a trop de personnes qui vivent chez lui…au détour de la conversation il me demande mon âge je lui réponds 42 ans et vous ? 16 ans bientôt 17 …il en a 92. Alors certes ses souvenirs sont parcellaires et incohérents par rapport à son identité sociale, mais il reconstruit sans cesse son identité en fonction du moment et de l’état de sa mémoire.

Je m’avance ensuite vers Coco, elle semble troublée en cette fin de matinée et agitée. Elle m’avoue qu’elle a fait des bêtises et que « les autres ne sont pas contentes ». Elle a l’air si bouleversée. Sa détresse semble si profonde, elle regarde partout, affolée. Je tente de la rassurer en lui prenant la main afin de la ramener dans l’ici et maintenant. Face à l’angoisse qui souvent les assaille un simple mot, un geste les ramène au présent et les rassure. Son regard se pose et elle me sourit. Je comprends que son angoisse se dissipe, elle commence à me parler. Elle me raconte ses folles années. C’est un moment furtif, où la lucidité regagne du terrain. Puis le brouillard retombe et les pensées s’obscurcissent, il est temps d’arrêter la séance tout en veillant à ce que Coco soit apaisée.

Confrontée au terrain j’ai pu voir émerger l’identité des différents résidents de l’unité fermée. Au-delà des différences physiques de chacun, les résidents me manifestaient sans cesse leurs différences identitaires. Ils sont capables de se raconter, de se reconnaître à travers leur propre histoire. Ils témoignaient de cette capacité de l’être humain à maintenir un soi, malgré les changements.

Une définition nouvelle de l’identité émerge depuis quelques années. On considère que  « l’identité est un processus psychique, une construction dynamique et plastique ». Ainsi l’identité dans la maladie peut s’adapter aux changements et aux restrictions des souvenirs : « on ne cesse pas de devenir soi même jusqu’à la fin ». L’identité se recompose à partir et en fonction des souvenirs résiduels. On comprend mieux quand Monsieur le proviseur se présente comme un jeune adolescent de 17 ans. L’identité vécue est certes différente de son identité sociale mais elle est quand même préservée. 

Cette conception novatrice de l’identité est une avancée. Les comportements et les récits de soi des malades Alzheimer, au lieu d’être considérés comme irrationnels et délirants peuvent être envisagés comme adaptatifs. On peut comprendre que par rapport à des données de plus en plus lacunaires, les malades cherchent à maintenir leur « moi » et le reconstruisent sans cesse. 

Cette nouvelle conception de l’identité dans la Maladie d’Alzheimer peut avoir plusieurs effets bénéfiques tant sur les malades, sur les soignants que sur les aidants et même au niveau de toute la société. D’un point de vue éthique, considérer que l’identité des malades Alzheimer est préservée jusqu’au bout, permet une prise en charge teintée de plus d’humanité jusqu’au dernier souffle.

Concernant les aidants, comprendre que son proche ne délire pas, que ses propos ne sont pas incohérents mais le signe d’un combat, d’une résistance contre la maladie, le signe d’une adaptation permet d’accompagner différemment l’être aimé. Pouvoir le reconnaître et ce malgré ses changements, c’est le plus beau cadeau à leur offrir.

Garder son calme en toutes circonstances

Que l’on vive avec un patient alzheimer ou bien que l’on soit confiné comme c’est le cas de beaucoup de gens aujourd’hui il est important de pouvoir garder son calme en toutes circonstances et pour cela évidemment il ne faut ni arrêter de respirer ni faire comme si rien ne s’était passé.

Si quelque chose vous énerve ou vous parait insupportable et que vous pensez qu’il est impossible de changer la situation, vous oubliez que vous êtes au centre de ce que vous éprouvez, que ce que vous éprouvez vous appartient. Si c’est à vous, alors vous pouvez essayez de faire quelque chose avec ce qui vous appartient.

C’est une idée qui vaut la peine d’y réfléchir et je vous propose ces deux vidéos de Valérie qui vous inspireront peut être une nouvelle manière d’envisager ce qui vous arrive et donc une nouvelle manière de le vivre et de le gérer.

Je ne vous en dis pas plus. Vous pouvez lancer les vidéos.

Forum d’Ethique du CHU de Montpellier

J’ai participé du Forum d’Ethique du CHU de Montpellier en avril 2019 et j’ai remarqué ces deux vidéos faites par des élèves soignants (voici le lien pour regarder la 2ème), sur le thème des relations d’une patiente Alzheimer avec un SDF. J’ai beaucoup aimé l’approche des élèves, le regard à la fois drôle et distancié sur tous les problèmes qui peuvent se poser dans ce genre de situation. Ils n’apportent pas de réponses, mais ils posent toutes les questions.

Comment parler à une personne fragile

Comment faire boire une patiente qui n’a pas soif?

Quand nous nous regardons quelqu’un faire quelque chose par exemple boire, dans notre cerveau les neurones qui servent à faire le geste de boire « s’allument » sans que nous n’ayons rien à faire. C’est ce qu’on appelle les neurones miroirs. C’est ainsi que l’on peut apprendre en regardant quelqu’un faire. C’est ainsi qu’on éprouve du plaisir au cinéma ou au théâtre. Le bon comédien qui éprouve une émotion et qui ne se contente pas de réciter son texte nous fait éprouver la même émotion, nous fait vivre quelque chose à l’intérieur de nous. Chez les enfants ces neurones sont très actifs et ils restent réactifs chez les patients Alzheimer même à un stade très avancé de la maladie.

Si une personne dit qu’elle n’a pas soif et refuse la boisson qu’on lui présente, il est inutile de la raisonner :  » Il fait chaud, il faut boire sinon tu vas te déshydrater ». Inutile et contre productif. Elle risque de se sentir forcée, de ne pas apprécier que quelqu’un d’autre lui dicte sa conduite et de s’entêter à refuser de boire. Si elle voit une personne boire devant elle avec plaisir et qu’il y a une boisson qu’elle peut facilement prendre, au bout d’un nomment elle va se mettre à boire. Il suffit alors de renouveler la boisson sans commentaire inutile: « Ah! tu vois bien que tu avais soif. »

Une dame qui attend l’autobus dans une chambre d’Hôpital

Une infirmière entre dans la chambre d’une patiente pour l’aider à se coucher. La dame est assise par terre: Que faites vous là, assise?

  • J’attends l’autobus pour aller chez ma sœur…

Comme souvent on sait que les personnes sont malades et on continue à leur parler comme si elles ne l’étaient pas. L’infirmière dit: « Il n’y a pas d’autobus! Il faut vous coucher c’est l’heure! » Le résultat ne se fait pas attendre la dame proteste. Si cette personne n’avait pas la maladie d’Alzheimer elle n’aurait pas l’idée de s’asseoir dans sa chambre pour attendre l’autobus.

Comment en est elle arrivée là? Elle a réfléchi : « je ne me sens pas bien ici, si j’allais chez ma sœur je serai bien mieux. Pour aller chez elle il faut prendre l’autobus. Je ne sais pas où il est et les portes sont fermées. Le seul endroit où je peux l’attendre c’est ici. » Si on comprend la situation qui peut se résumer à une équation très simple: Cette patiente ne sent pas bien. Comment lui rendre son sentiment de sécurité? C’est la seule question. Sa sœur est peut être morte ou habite très loin. Ça n’a aucune importance. Il faut garder le contact avec la malade et ne pas dénigrer la solution qu’elle a trouvée. Donc:  » Oui, c’est une bonne idée! »

On peut lui dire:  » Je vais regarder les horaires: Oh! le dernier autobus est déjà passé il faudra attendre demain… »

Ou encore: « Je vais m’asseoir avec vous pour attendre. Oh! c’est froid par terre! On pourrait s’asseoir là (sur le lit) ce serait plus confortable. Une tasse de chocolat cela vous ferait plaisir? Je vais vous la chercher. »

Ou encore: « Parlez moi de votre sœur elle vous aime beaucoup? Vous la voyez souvent? »

Ou encore: n’importe quoi qui permette un dialogue qui amènera la patiente à s’endormir apaisée. Et l’on voit qu’il faut se laisser aller à sa créativité naturelle. Il n’y a pas de réponse toute faite.

A domicile une patiente s’accroche de toute ses forces à son aide-soignante

La patiente a du mal à marcher et elle n’a pas beaucoup d’équilibre. En allant aux toilettes elle s’accroche si fort à son aide soignante qu’elle lui fait mal à l’épaule.

Encore une fois ne pas essayer de raisonner: « Voici votre canne. Donnez moi l’autre bras comme cela vous n’aller pas tomber » . C’est beaucoup plus efficace de lui faire un compliment: « Vous avez une nouvelle robe. Elle vous va bien! »

La robe n’est pas nouvelle mais la dame se redresse, retrouve son équilibre, lâche l’aide soignante et s’appuie sur sa canne pour revenir seule jusqu’à son fauteuil. Elle sourit, elle se sent belle. Elle était de mauvaise humeur, elle pensait : » Ah! la la! je ne tiens même plus debout ». Et maintenant elle se dit: « Je ne me souvenais plus que j’avais une nouvelle robe. Elle est belle cette robe! »

Détourner l’attention et en profiter pour dire n’importe quoi qui ramènera un sourire et apportera de la bonne humeur, c’est une manière simple de nouer des relations avec des personnes fragilisées par leur état de santé. Dans ce processus il faut se rappeler le rôle de neurones miroirs et la sensibilité des personnes à la manière dont on les considère. La sincérité et la bienveillance sont indispensables dans la relation. L’infirmière ou l’aide soignante se sentiront bien et heureuses d’avoir réussi à établir une relation avec une personne fragile.

Aides soignantes: les pratiques bienveillantes

Journée du 12 novembre 2019 organisée par l’Ifpvps

J’ai reçu en Octobre 2018 de l’Institut de Formation Public varois des Professions de Santé un message me demandant d’être la marraine d’une journée consacrée aux pratiques bienveillantes, ce que j’ai bien entendu accepté.

 » Notre école forme 280 aides-soignants par an sur 4 sites du Var. Nous utilisons votre livre «Le bonheur plus fort que l’oubli » afin de faire évoluer les représentations de la maladie d’Alzheimer. Votre livre est un message qui permet aux  soignants un questionnement  sur la qualité de la prise en charge au sein d’une relation triangulaire : Soigné , Famille , Soignant. Nous cherchons à convaincre du rôle essentiel que peut jouer un aide-soignant bienveillant dans un accompagnement digne. Nous organisons une journée le 12 novembre 2019 afin de valoriser le travail effectué par ces soignants . 70 ans que ce grade a été créé! 62 ans qu’un diplôme existe! Et pourtant si peu de considération !

Nous voulons mettre à l’honneur cette catégorie de soignants qui accompagne dans les gestes les plus intimes la vie de toute personne en perte d’autonomie. Nous serions très honorés de vous avoir comme la marraine de cette journée. Une journée ponctuée d’intervenants,qui véhiculent un savoir centré sur les notions de dignité et de respect. Nous voulons par cette journée rendre hommage à ces soignants et redonner du sens aux pratiques bienveillantes. »

« La Confusionite » sera jouée à 19 heures au Palais Neptune de Toulon.

Rapport de stage d’une aide soignante en formation

Je suis heureuse de publier ici un rapport de stage sur de la prise en soin d’un patient atteint d’une maladie d’Alzheimer

Ecrit d’une manière très vivante ce rapport (que vous pouvez lire en intégralité en cliquant sur ce lien) montre toutes les difficultés de prendre soin d’un patient dans un cadre institutionnel et tout ce qu’il faut inventer pour ne pas laisser une routine discutable prendre le dessus sur la relation bienveillante de l’aide soignante avec la personne malade.

La vie est belle, ce n’est pas seulement le titre d’un film

le courage de dédramatiser

J’ai reçu hier ce message sur facebook L’auteur m’a donné l’autorisation de le publier sur ce blog

« Je vous fais ce petit mot simplement pour vous dire MERCI de m’avoir déculpabilisée. Avant la lecture de votre livre « Le bonheur plus fort que l’oubli » j’étais en proie à quelques questionnements sur ma façon d’être avec mon mari, tellement opposée au classique, opposée aux clichés qu’imaginent ceux qui ne la vivent pas. Eh oui, comment puis-je être joyeuse, malgré ou peut-être même grâce à la maladie ? Et comment mon mari ( 67 ans) qui souffre d’Alzheimer atypique, ( car la maladie a commencé par une aphasie primaire progressive) peut-il rire autant et être aussi gai ? Tout ou presque (il ne faut pas exagérer quand même) est rigolade, clowneries pour dédramatiser chaque incident, chaque erreur, jusqu’à imiter sa sœur au fort accent chti. Il a toujours eu beaucoup d’humour et d’instinct, j’ai détourné ses « bêtises », ses incongruités en amusements, en jeu. Je me compare parfois à Roberto Benigni dans « La vie est belle » où il transforme la situation tragique en jeu, pour épargner de l’angoisse à son fiston, qui ne se rend compte de rien. Mon mari Yves, dégagé de ses anxiétés, de ses soucis, ignorant sa pathologie, se fiant totalement à moi est heureux, ne souffre pas, est en bonne santé physique, il est un malade en bonne santé. Et ô quel bonheur on ne se dispute même plus, il a perdu sa susceptibilité que je trouvais pénible et qui était souvent à l’origine de nos accrochages. Quand je parle de lui, c’est avec légèreté et, au vu de la réaction de certains de mes témoins, j’ai pu passer soit, pour une inconsciente au mieux, soit pour une « jem’enfoutiste » Les difficultés viennent beaucoup plus de l’étonnement de l’entourage, à qui il faut expliquer qu’il ne sert à rien de prendre une tête de compassion mais qu’au contraire il faut rester naturel, continuer à vivre et continuer à rire. J’ai senti qu’il fallait agir ainsi pour, à défaut de faire reculer la maladie, l’empêcher de progresser trop vite et pour le confort psychologique de mon mari. Et voilà que je tombe sur vos livres qui m’ont confortée et consolidée dans ma façon d’agir, et en y piochant des explications, je les ai tous lus et m’y suis sentie à l ‘aise. Tout cela m’a empêchée de me sentir a-normale et je tenais à vous remercier. »

Je salue ce courage et cette volonté de dédramatiser cette maladie alors que « la machine à faire peur continue de tourner », alimentée de manière inconsciente par des gens qui veulent partager des témoignages intimes effrayants. Croyant bien faire et aider la recherche médicale, ceux qui cherchent à ramasser de l’argent s’en saisissent, sans se rendre compte qu’il sèment la terreur et le découragement dans le cœur des personnes concernées aujourd’hui et demain.

Tous les publicitaires vous asséneront qu’en matière de santé la peur fait ouvrir les porte-monnaies. Ceux qui se targuent d’être des médecins et pas des hommes d’affaires, ne sont pas forcés de les écouter. Si leur discours n’était pas si uniment anxiogène combien y aurait il de moins dans les caisses des Fondations pour la Recherche?

Primum non nocere. Pour cette maladie qu’on ne sait pas guérir quelle autre perspective existe-t’il pour les malades qu’une prise en charge paisible? La vie peut être belle aussi pour les malades d’Alzheimer.

DES AMIS POUR ALZHEIMER ?

J’ai reçu ce mail en novembre et je le publie ici, car je crois qu’il pourrait aider à répondre au grave problème de l’enfermement des patients Alzheimer. Le voici:

 » Oui, j’ai lu vos livres et je déjeunais ce matin en compagnie de l’homme qui tartinait une éponge (et tous les autres personnages du livre). Je me faisais justement la réflexion qu’il y a peu d’amis dans vos récits. Il me semble que l’on a besoin de plus de  personnes comme vous-même, qui nous parlent des personnes qui ont Alzheimer sans tomber dans le catastrophisme. Au Royaume-Uni et en Australie il y a un programme géré par la Ligue Alzheimer qui s’appelle « Alzheimer Friends » – peut-être que l’on pourrait apprendre à nos contemporains de rester ami.e avec leurs ami/amies qui ont Alzheimer (ou autre forme de démence, d’ailleurs). C’est en tout cas ce que j’espère et ce en quoi je crois ! Encore merci pour votre réponse,… et surtout : continuez à nous parler comme vous faites – c’est essentiel et tellement important pour les personnes malades ! »

Je dis souvent qu’il faut inventer un nouveau métier « promeneur de patients Alzheimer », que moi j’ai appelé Demoiselles de compagnie; on peut trouver aussi des jeunes hommes de compagnie, qu’il est possible de recruter chez les étudiants. Comme chaque cas est différent il faut fournir au promeneur un mode d’emploi de la personne et d’abord un mode d’emploi de la relation avec un patient Alzheimer que l’on peut résumer ainsi:

Ne jamais dire non, ne jamais contrarier, ne pas essayer de raisonner, parler de ce que l’on voit, Ecouter et surveillez les réactions de la personne lorsqu’on répond à ses questions. Savoir qu’une question répétitive n’est pas une question et qu’il ne faut pas y répondre mais essayer de deviner d’où vient le malaise qui a provoqué « un bug » du cerveau et engendré la question répétitive. Trouver des paroles apaisantes.

Donner des précisions sur la personne particulière. Ce quelle aime ce qu’elle n’aime pas. Et vérifier que la relation de confiance s’est installée entre le promeneur ou la promeneuse et son patient. Un seul critère: le sourire partagé. Le patient sait très bien qu’il ne peut pas sortir tout seul et il se sent doublement reconnaissant envers la personne qui lui permet de se promener en oubliant les contraintes de sa maladie.

Alzheimer ce n’est pas un délire de persécution

« Nous essayons de dialoguer mais l’agressivité développée par ma mère à notre égard est disproportionnée et non fondée, elle développe un délire de persécution et ne se remet plus jamais en question, chaque tentative de dialogue nous éloigne un peu plus. »

 Ce que vous décrivez est tout à fait classique. Un malade azheimer perd ses repères et sa capacité à raisonner. C’est inutile  de « lui faire entendre raison » et de s’imaginer qu’il va avoir les mêmes comportements qu’il avait avant d’être malade. Ce n’est pas un délire de persécution c’est juste une perte de repères due à la destruction des neurones et des synapses. 

Il n’y a qu’une attitude à avoir vis à vis de la malade: sourire, gentillesse et approbation. Ainsi vous aurez une chance d’établir un nouveau contact avec votre mère. Vous  pouvez vous remettre en question, reconsidérer la situation,  elle pas. Elle n’en a pas les moyens neurologiques. Si vous la critiquez vous la mettez en échec , vous la stressez et son cerveau va se bloquer, « bugger ». Tout va empirer, comme vous l’écrivez: « chaque tentative de dialogue nous éloigne un peu plus » En clair, elle ressent votre dialogue comme une attaque en règle.

J’explique cela en détail dans mes livres et sur ce blog. C’est le B.A. BA de Alzheimer. C’est la première chose à savoir et à comprendre. C’est bien dommage que ces informations ne soient pas davantage répandues dans les médias et le milieu médical. Cela éviterait bien des drames et des malentendus. Les aidants verraient leur rôle de façon plus claire.

Pour aider le malade, il faut lui fournir d’autres repères et l’apaiser. Dans ce travail délicat, le seul guide est le malade, il faut l’écouter et prendre au sérieux tout ce qu’il dit, pour être en mesure de le comprendre, de voir où sont ses difficultés d’aujourd’hui qui ne seront pas les mêmes demain, et de l’aider véritablement.
Et d’abord OUI, OUI et encore OUI. Évitez le NON ou alors assortissez le d’un OUI: « ça non mais ça oui ». Il y a des petites phrases magiques que l’on peut utiliser sans modération: « Tu as bonne mine…tout va bien… tous les problèmes sont pour moi…, Je vais arranger ça… Est ce que tu veux bien faire ceci? »

Critiquer un malade, le remettre en question, lui reprocher sa maladie c’est à dire son manque de neurones et sa nouvelle manière de fonctionner c’est comme prendre l’autoroute en sens inverse. La catastrophe est certaine et sera grave. Difficile ensuite de ramasser les morceaux. Un malade qui a été critiqué ou méprisé par son entourage s’en souviendra. Il fait confiance aux informations que son cerveau lui donne et il va se méfier de ceux qui l’ont mis en échec, ou le prenne pour un fou délirant. C’est si facile de briser une relation de confiance fragilisée par la maladie et si difficile à réparer ensuite.

Une correspondante a écrit dans un commentaire sur ce blog: « Avant je ne reconnaissais plus ma mère , j’ avais une étrangère dans le corps de maman, mais avec le déclic que j ‘ai eu, elle est réapparue et ça fait du bien à nous deux » C’est à dire: si vous ne reconnaissez plus la malade, elle ne vous reconnait pas non plus. Si vous la reconnaissez à travers les changements qu’elle exprime à cause de la maladie, elle vous reconnaîtra et vous témoignera son affection. Vous obtiendrez sa collaboration active dans les gestes du quotidien.

Une dernière chose, les neurones miroirs sont à l’oeuvre comme chez les enfants, ils occupent une place libérée par les neurones du raisonnement. Un malade ressentira votre état intérieur plus précisément que vous mêmes. Avant de l’aborder soyez calme et serein. La situation est délicate certes, mais vous avez assez de ressources pour vous débrouiller avec. Faites vous confiance. Ne craignez pas de faire des erreurs. C’est en faisant des erreurs qu’on apprend.

Quand les repères du quotidien s’effacent


« Malheureusement, quand la nuit a été mauvaise car le malade était agité, c’est difficile d’être sereine ,de prendre du recul. On tombe vite dans un cycle infernal et c’est exactement ce qui se passe en ce moment entre mon mari malade et moi. Un équilibre fragile a été rompu et je n’arrive pas à comprendre ce qui coince . Je pense aussi que j’ai du mal à accepter une dégradation soudaine et importante. »

Dans le parcours de la maladie il y a des moments difficiles qui demandent un effort de lucidité particulier. Ce qui coince, c’est que les repères du quotidien s’effacent sans laisser de trace. Alors ce qui constituait une bonne journée devient une journée difficile où la bonne humeur a disparu. Si la nuit est agitée c’est que la journée précédente n’a été ni bonne ni joyeuse. Des gestes faciles ou des activités plaisantes sont devenues difficiles ou impossibles pour le malade. C’est ce qu’il faut observer avec attention pour procéder aux changements nécessaires, trouver un nouveau mode d’emploi de la journée et de la semaine.

La maladie est évolutive, même quand il ne se passe rien en apparence, le cerveau se dégrade peu à peu. Le malade peut arriver à compenser ses pertes de repères surtout s’il éprouve un sentiment de sécurité vis à vis de son entourage. La dégradation peut apparaître d’un coup, un peu comme un tissu usé qui se déchire brusquement. Alors c’est important de regarder le chemin parcouru. Combien de difficultés avez vous déjà surmonté? De combien de mauvais pas vous êtes vous tirée? Est ce plus difficile aujourd’hui que l’année passée? Où avez vous trouvé de l’aide? Où en chercher aujourd’hui?

Le parcours n’est pas fini et vous savez qu’à la fin de la maladie, le cerveau du malade sera dans un état équivalent à celui d’un nourrisson, si une autre maladie ne fait pas disparaître un malade fragilisé par Alzheimer. Quelque soit l’état du cerveau la relation au malade reste possible. Au fur et à mesure que ses compétences disparaissent son ressenti devient plus précis. Il ressent intensément les émotions des personnes qui l’approchent.

Il y a un élément nouveau auquel il convient de prêter attention: le rythme chrono-biologique se modifie. L’heure où la toilette peut être acceptée peut se modifier considérablement. Il est dix heures du matin à l’horloge, mais pour le corps du malade quelle heure est-il? Si c’est deux heures du matin et qu’on le conduit sous la douche cela va très mal se passer et risque de briser la confiance qu’il a dans son entourage. Toujours lui demander son avis: est-ce le bon moment pour se coucher? le bon moment pour se laver? le bon moment pour sortir?

Tout cela complique la vie en apparence mais la simplifie en réalité, car tout se fera avec la collaboration active du malade. Dans tous ces bouleversements, il faut veiller à votre confort. C’est une priorité, la base sur laquelle tout le reste repose. Comment faire pour augmenter son sentiment de confort, son sentiment de sécurité? Si je suis stressée je ne pourrai communiquer que du stress à la personne malade, je vais aggraver sa situation et la mienne.

De quoi ai-je besoin pour me sentir bien, pour être apaisée, quels sont les choix que je peux envisager. Quelles sont les perspectives qui me rendraient ma bonne humeur naturelle? Car La bonne humeur est naturellement présente dans un quotidien fluide. Quand quelque chose coince, il y a une urgence, il faut réagir. Si on ne fait rien, le quotidien s’aggrave mécaniquement. Si l’aide extérieure systématique devient nécessaire il faut la trouver, et pour cela la chercher activement. Beaucoup d’aides sont proposées et pas ou peu utilisées. Il faut en faire le tour pour trouver celles qui conviennent. On ne pense pas toujours à questionner sa caisse de retraite.

S’occuper d’un malade Alzheimer amène à se poser des questions quasiment en permanence.

Prendre du recul ou de la hauteur, changer son regard.

« Hier Maman m’a dit : et comment va ta maman? Je lui ai dit avec un air paniqué: qui je suis moi comment je m’appelle? Elle a trouvé mon prénom au bout d ‘un temps très long, et j ‘ai pleuré parce qu’elle avait oublié les prénoms de mes enfants. »

Les gens qui sont malades ne peuvent pas avoir le mêmes réactions que ceux qui ne sont pas malades. C’est la première chose à savoir. Quand on se trouve en face d’un événement qui choque parce qu’on ne comprend pas ce qui se passe, il faut prendre du recul ou de la hauteur. Ce qui permet de voir l’essentiel, de voir dans tous les détails ce qui se passe vraiment. Nommer et reconnaître ne sont pas identiques. La dame finit par nommer sa fille mais cela lui a coûté un effort. C’est pas parce qu’elle ne sait plus la nommer qu’elle ne la reconnait pas.

Cette dame malade a prononce le mot « maman » en voyant sa fille, le lien est là mais il est obscurci par la perte des repères entraînée par la perte des neurones. Mère fille, les repères se mélangent. Si la fille se met à pleurer et à crier, la mère malade va être choquée car elle ne comprend que c’est elle qui a déclenché cette tornade. Dans la personne qui pleure et qui crie elle ne va pas reconnaître sa fille, une personne avec qui elle avait une relation d’affection, maintenant hors d’atteinte. Cette personne qu’elle n’a pas su nommer exprime de l’hostilité. Cette hostilité est reçue cinq sur cinq par la malade et fait obstacle à toute forme de relation.

La maladie d’Alzheimer oblige a repenser la relation, à l’approfondir. De quoi cette personne qui a été ma mère a besoin pour se sentir bien? Elle a besoin d’un sentiment de sécurité. Les pleurs et les cris ne vont pas faire reculer la maladie mais vont l’aggraver. C’est le B.A BA de la relation avec toute personne malade. On ne vient pas voir une malade pour lui reprocher sa maladie, sous le fallacieux prétexte qu’on l’aime et qu’on ne supporte pas de voir ce qu’elle est devenue.

La maladie d’Alzheimer oblige à repenser la relation de soin. Traiter la personne comme si elle n’était un corps « le nursing »… c’est une autre manière de nier la personne. Elle est là, différente, mais elle est là, dans le présent, avec son ressenti et ses repères manquants. Elle attend quelque chose. Elle attend un sourire, une approbation, une validation, quelque chose qui lui permettrait de se détendre et d’oublier l’inquiétude qui l’assaille dès que quelqu’un la regarde de travers, avec mépris, pitié, énervement ou colère.

Arriver à s’adapter à des circonstances aussi nouvelles demande un effort, un effort de lucidité, prendre du recul, de la hauteur pour mieux voir: Qui suis je dans cette situation nouvelle? Quel est mon rôle? Quelle attitude prendre et pour quel résultat? Rien ne sera jamais comme avant, il faut en prendre acte.

Dans une situation aussi délicate, on a besoin de toutes ses ressources, de toute sa force intérieure, de toute son intelligence, de toute sa réflexion. Alors et alors seulement les choses peuvent se présenter autrement, une relation nouvelle faite de douceur et de sécurité affective peut apparaître, une nouvelle relation de confiance. La malade qui se sait en sécurité peut offrir sa collaboration active à son entourage et non plus une opposition systématique à tout ce qu’on lui propose.