Quand on est surpris, il arrive que l’on reste muet, sidéré, ne sachant que dire. Mais il y a des situations où il vaut mieux ne pas garder sa langue dans sa poche et faire comme Cyrano qui s’exclame:
« Ah ! Non ! C’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… oh ! Dieu ! … bien des choses en somme… »
Je viens de refermer le livre de Alain Jean, si mal nommé « La vieillesse n’est pas une maladie. » Titre porteur mais contenu déprimant! Quand il pose un diagnostic d’Alzheimer, l’auteur-médecin gériatre, nous informe qu’il a l’habitude de prévenir la famille: « Un jour viendra où il ne vous reconnaîtra pas! » Le docteur ne veut pas faillir à sa mission de vérité.
Sa mère, malade Alzheimer, vient d’être placée, elle dit en le voyant: « Bonjour Monsieur ». Le bon docteur est pris de sidération. Il demeure muet, sidéré, statufié. Aussi stupide que le jeune homme devant le nez de Cyrano.
Or, Il aurait pu dire, en variant le ton, par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, Madame, je suis votre fils,
Et quoique vous disiez, je le revendique! »
Amical : « Madame, je suis de vous voir si heureux
Désirez vous que, pour vous, je fasse quelque chose? »
Descriptif : «Je peux m’asseoir prés de vous un instant
Mais si, en ce moment, vous êtes fatiguée,
Je reviendrai demain ou bien un autre jour. »
Nostalgique: « On s’est déjà rencontrés … Plusieurs fois, je crois
Vous pouvez m’appeler par mon prénom, c’est Jean !
Et quand j’était petit, on m’appelait Jeannot »
Curieux : « Avez vous cette nuit bien dormi?
Dites moi votre nom, votre prénom, qui êtes vous ? »
Gracieux : «Je pourrai vous prendre en photo,
J’aurai alors de vous un portrait tout frais »
Truculent : « Quand j’étais tout petit, je bavais. J’avais
Attaché autour du cou un grand bavoir, c’est fou! »
Prévenant : «Accepteriez vous de faire avec moi
Quelques pas dans le couloir, une promenade? »
Tendre : « Voulez vous une tasse de thé
Avec un nuage de lait et des gâteaux anglais »
Mais non, le bon docteur reste sidéré! Ayant perdu sa voix et son vocabulaire, il n’a pas l’idée simple d’essayer le silence et le sourire, de regarder avec bonté la dame, qu’il est venu voir et qui a été sa mère. Caché sous le mot sidération, ce qu’il éprouve c’est un rejet total et sans appel, qui traine avec lui une ribambelle de notions discutables: démence, perte d’identité, deuil blanc, mort sans cadavre etc… Ce rejet absolu sidère les patients alzheimer qui sentent bien qu’on les rejette hors de l’humanité. La sidération se développe alors en boucle, entraînant avec elle des souffrances dont on n’a pas la moindre idée.
Il est temps d’établir ici une vérité: La non reconnaissance est un réflexe de survie (cf Les stratégies de survie d ‘un cerveau alzheimer). Ce ne sont pas les patients qui ne reconnaissent pas leur entourage, c’est l’entourage qui commence par ne pas les reconnaître !!! L’entourage a été prévenu et il s’y attend, il change son regard sur le patient, regard d’inquiétude, d’appréhension, de peur, de panique, regard de honte ou de pitié : « Un jour viendra où il ne vous reconnaîtra pas, il sera pour vous un parfait étranger! » Pour réduire en miette une relation, on ne peut pas mieux trouver. C’est la question qu’on me pose tout le temps: « Est ce qu’il vous reconnait? » A laquelle, je réponds: « Quelle importance? Moi, je le reconnais! »
Le bon docteur, au bout de six mois, sur l’insistance de ses amis, va revoir sa mère, elle l’accueille avec un grand sourire, il conclue que « tout cela est mystérieux »… Et il écrit en lieu et place de celle qui lui a donné le jour un récit fabriqué où « elle » raconte sa vieillesse et sa maladie. Récit construit de toutes pièces. Certains s’y reconnaîtront, peut-être.
Sur la page de garde de l’ouvrage, il est noté » A Jean Maisondieu qui m’a ouvert la voie », une voie qui est une impasse. Il ne faut pas s’en étonner, l’auteur du « Crépuscule de la raison » étant un grand analphabète de la maladie d’Azheimer (cf Alzheimer le B.A. BA), bien qu’il passe aux yeux de beaucoup pour un éminent spécialiste.
Dans ce regard sidéré et sidérant que notre médecin se garde bien d’analyser ou de questionner, la malade se trouve rejetée hors du cercle de l’humanité. Le crime qu’elle a signé est infamant et sidérant: elle n’a pas su nommer son fils (cf la carte et le territoire). Son cerveau est malade mais elle n’a pas droit à un regard de compassion, parce qu’elle n’est plus considérée comme un être humain à part entière.
Dans un autre temps, il y a eu ceux qui mettaient une étoile à cinq branches sur les vêtements pour mettre leurs semblables hors de l’humanité. Eux aussi avaient très bonne conscience et ne questionnaient pas leurs actes, une bonne conscience sidérante.
bjjnph
kujr4x
Bonjour, j’ai besoin d’un conseil: je vis avec mon mari qui a une maladie d’Alzheimer. Comme je fais tout à la maison, j’ai cherché de l’aide auprès de la Maison des Ainés près de chez moi. Une aide-soignante vient à domicile chaque matin (sauf le week-end) pour aider mon mari à faire sa toilette. Or, il n’aime pas du tout qu’une étrangère vienne faire sa toilette, ce que je comprends tout à fait. Il me dit qu’il est capable de se tenir debout au lavabo pour faire sa toilette, mais en fait, il ne tient pas debout tout seul. Je me sens coupable de lui imposer une aide qu’il n’accepte pas, mais qui me libère du temps. Mes amis me disent que je ne dois pas renoncer à cette aide et que mon mari va s’y habituer, mais il n’en est rien; je pense même que ça le déprime de se voir assisté.(mais il accepte tout à fait mon aide pour sa toilette). Que pensez-vous de tout ça? Merci. Elisabeth
Vos amis ne vivent pas avec vous et c’est vous qui avez les réponses aux situations délicates auxquelles il faut faire face pour vivre le mieux possible
Votre mari vous dit qu’il n’aime pas cette dame, il faut le croire et en tenir compte, ainsi sa confiance en vous en sera renforcée.
Vous avez besoin de vous libérer du temps, il faut trouver de l’aide pour d’autres activités que la toilette ou d’autres moments de la journée qui vous arrangent. C’est à vous de veiller à ce que la relation qui s’installe soit agréable pour les deux personnes.
Vous même quand une personne vient pour vous aider accueillez la chaleureusement comme si elle était déjà une amie et elle peut le devenir puisqu’elle partage votre quotidien dans cette période délicate.
Les neurones miroirs sont très éveillés chez un malade et il imitera votre attitude, comme un enfant.
C est vraiment agaçant de toujours rapporter la maladie juste au fait de reconnaître ou pas son entourage !!! Pour ma part c’est mon mari qui en est atteint, il aura 64 ans en avril prochain. Il a été diagnostiqué en 2018 à la suite d un accident de voiture seul dont il n a absolument pas su expliquer les causes. Pour moi cet accident a été une providence car cela faisait plusieurs années que plein de choses n allaient plus sans que je puisse expliquer pourquoi, j’ai failli faire ma valise de nombreuses fois et il y avait toujours une petite voix qui me disait non ne fait pas ça !! Et j aimais mon mari plus encore qu au premier jour. Même notre médecin traitant et nos enfants me disaient que je me faisais des idées et que j étais trop déprimée c était sûrement pour ça que mon mari changeait, mais c était le contraire j étais déprimée parce que lui changeait trop !!! Bref depuis le diagnostic l état physique de mon mari s est dégradé très rapidement. En juillet 2020 il était devenu impossible de le maintenir à domicile, je devais tout faire, le porter sur les toilettes, le doucher, l habiller, je devais le surveiller comme le lait sur le feu car il risquais de chuter à tout moment, je ne dormais plus je me levais six à huit fois par nuit. Il ne pouvait marcher que quelques minutes et ne supportait plus du tout le bruit et le monde autour de lui. Ce fut un déchirement mais il a dû rentrer en institution j étais épuisée. Au jour d aujourd’hui il est totalement dépendant, il passe 24h sur 24 au lit ou au fauteuil en étant transféré avec le leve malade parce-que c est impossible autrement, il ne marche plus, est nourri tout en mixé comme un enfant, est incontinent, il n est plus que l ombre de lui même et pourtant oui pourtant lorsque je me rends auprès de lui il me reconnaît parfaitement et malgré ses problèmes pour parler il réunit toutes ses forces pour me dire « je t’aime »avec les yeux embués de larmes . Alors vous savez, au risque de tous vous choquer Je préférerais et de loin qu il ne me reconnaisse pas, qu il soit dans son petit monde et qu il ne souffre pas, j attends même ce moment parce-que sa souffrance psychologique est insupportable.
Hier Maman m’a dit: et comment va ta maman? je lui ai dit avec un air paniqué:qui je suis moi comment je m’appelle? Elle a trouvé mon prénom au bout d ‘un temps très long,et j ‘ai pleuré parce qu’elle avait oublié les prénoms de mes enfants.J’étais écrasée de tristesse toute la soirée d ‘hier et mon mari m’a dit:ne t’inquiètes pas on va régler ça. Mais j ‘ai crié :tu comprends pas y a rien à faire! Il m’a dit gentiment :Si si le nursing comme si elle n’était plus qu’un corps.Mais grâce à vous Colette et Vanina je sais ce que je dois faire maintenant:aimer Maman et la reconnaître même si elle ne peut plus me reconnaître.
Bonjour,
J’ai répondu par un article entier car votre question concerne beaucoup de gens.
Merci de partager votre expérience de vie avec nous, les personnes aidantes. Ma mère a eu 80 ans et elle héberge en elle la maladie d’alzeimer depuis 12 ans. Elle a donc eu 68 ans de vie sans. Quoi qu’ il arrive par la suite, je me souviendrait plus de la maman qu elle a été plutôt qu à la malade qu’elle est devenue. Alors merci à vous d’avoir éclairée de façon plus humaine et plus compatissante cette maladie qui détruit presque tout sur son passage. Frédérique.
bonjour et merci pour votre témoignage. a mon tour de vous en proposer un… si ça vous chante! et si ça vous parle, n’hésitez pas à partager, ou vous abonner à la newsletter!
http://www.vivantsensemble.com
Chère Colette,
Merci pour ces témoignages, ce site, cet horizon.
Je viens d’apprendre, il y a deux jours, que Maman est diagnostiquée MA.
Le monde s’est écroulé… La famille qui panique, les médecins qui se taisent, Maman qui est perdue et les gens qui me disent : « il va falloir être forte, il faudra la placer, tutelle, EHPAD, elle ne te reconnaîtra plus…. ».
Perdue, je suis allée sur internet pour comprendre. Des témoignages poignants, émouvants sont présents, certes mais si déprimants…. Maman est elle condamnée à vivre ainsi ??? Je ne suis pas d’accord !
Quand Maman m’a adopté, il y avait de fortes chances pour que je sois « un légume » comme ont dit les médecins. Prématurée non oxygénée à la naissance, elle risquait gros en m’adoptant. Elle a juste dit : « elle est ma fille, peu importe ce qui se passera, elle sera toujours ma fille » et elle a toujours respecté ces paroles toute au long de ma Vie. Aujourd’hui, je suis une jeune femme de 33 ans, j’ai fait des études supérieures, trouvé un emploi et un mari aimant et je vais très bien.
J’ai donc chercher des point de vue « alternatifs » sur la maladie, pour aider au mieux Maman, d’accord, elle sera différente dans ses comportements mais pas dans son amour.
C’est comme cela que je suis arrivée sur votre article… ma plus grande peur… Mais en vous lisant, en parcourant vos sites… je n’ai plus peur, j’ai l’impression que je sais ce qu’il faut faire : aimer Maman.
Merci
Oui, bien sur la relation affective est essentielle et elle a le pouvoir de ralentir la perte des repères, car elle est un repère et le plus important de tous. Ce qui est nécessaire c’est l’observation précise et continuelle des situations nouvelles, la découverte et la mise en oeuvre de tout ce qui peut rendre le malade confortable et heureux dans sa nouvelle vie. C’est l’empathie en action.
Merci Colette pour cet exemple qui montre très justement la méconnaissance de la maladie par ceux qui sont sensés détenir le Savoir.
Je crois aussi qu’il faut toujours répondre devant l’incohérence des propos que nous entendons de la part de nos malades et les écouter avec tendresse, même si ces propos nous heurtent.
Daniel vous qui la vivez chaque jour, vous connaissez la pathologie et vous voyez que les « maladresses » apparentes sont justement l’expression du dysfonctionnement du cerveau, que la cause est neurologique pas psychologique. Si vous arrivez à le voir entièrement et pleinement vous ne pouvez pas vous sentir heurté. Si vous êtes contrarié, votre compagne va le ressentir et se trouver davantage perturbée. Vous avez le pouvoir de réduire la maladie à son niveau minimum en restant calme et de bonne humeur quoi qu’il arrive. C’est un apprentissage et un beau challenge.
on m’avait prevenu qu’un jour maman n’allait pas me reconnaitre; et un jour, effectivement , en lui posant la question qui je suis?elle me repond »un ami »; c’a m’a fait beaucoup rire la facon dont elle l’a dit. »mais je suis ton fils »lui disje « mais non, je n’ai pas eu d’enfant » dit elle alors qu’elle en a eu 6. c’est un moment où j’ai eu beaucoup de tendresse pour elle et un moment ou elle m’a fait beaucoup rire. Souvent elle me reconnait mais j’attends toujours ce moment où je ne suis pas son fils!
Merci, votre message fait chaud au cœur, c’est un bel exemple à suivre.
Chère Colette, si vous n’existiez pas, il faudrait vous inventer 🙂 Bravo pour votre façon de pourfendre avec intelligence l’establishment et surtout pour vos ardents plaidoyers pour une humanité partagée, y compris -et surtout- avec des adultes confrontés à des phénomènes de vieillissement cérébral problématique (à mon avis abusivement regroupés sous le nom d’une maladie intégrant celui d’un neuropsychiatre allemand du début du 20e siècle)
Merci Anne-Claude, nous sommes sur la même longueur d’onde. J’espère q’un jour nous pourrons amener La Confusionite en Suisse.