Le livre « Le bonheur plus fort que l’oubli » est maintenant disponible en version poche, sur amazon ou chez votre libraire.
Il y a une nouvelle préface de Françoise Forette et une postface de l’auteur.
Mille et une Vies pour la journée Alzheimer
Le 21 septembre à 14h, sur France2, Frederic Lopez nous a reçu dans une belle maison à l’occasion de la journéee mondiale sur Alzheimer
Interview dans le journal des notaires
Les entretiens Alzheimer gratuits à Paris
Le Mardi 10 Mai à 14 h Entretiens Alzheimer de la Fondation pour la Recherche sur Alzheimer
- Introduction
Olivier DE LADOUCETTE, Psychiatre, gérontologue et président de l’Association pour la Recherche sur Alzheimer. - L’augmentation de la longévité humaine: chance ou fardeau ?
Luc FERRY, Philosophe et homme politique français, ancien professeur de philosophie et ancien ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche. - Maladie d’Alzheimer : le point sur la recherche
Bruno DUBOIS, Professeur en neurologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, directeur de l’Institut de la Mémoire et de la Maladie d’Alzheimer (IM2A), président du Comité Scientifique de la Fondation pour la Recherche sur Alzheimer et membre de l’Académie de Médecine. - Le bonheur plus fort que l’oubli
Colette ROUMANOFF, metteur en scène et écrivain et Sarah NICAISE, accompagnement social et solidaire chez Audiens - Comment préserver son énergie et une bonne santé par l’exercice physique
Véronique de VILLELE, coach sportif, membre du Comité d’Organisation de l’Association pour la Recherche sur Alzheimer. - Intérêt de l’imagerie nucléaire en clinique et en recherche dans la maladie d’Alzheimer
Aurélie KAS, professeur et chef du service de médecine nucléaire à la Pitié-Salpêtrière. - De l’activité physique à l’écriture thérapeutique : à la recherche d’un accompagnement adapté
Eric Sanchez, Directeur du dévelopement de l’action sociale – AG2R La Mondiale - Hamlet, un chien pour la vie
Stéphane Candotto, kinésithérapeute – Le Noble AgeEt d’autres interventions sur le thème vivre au quotidien avec la maladie d’Alzheimer grâce à nos partenaires :
AG2R la Mondiale, Audiens et Le Noble-Age.
Venez nombreux et profitez de cette occasion pour échanger avec les chercheurs et leur poser toutes vos questions !
Conférence en libre accès sous réserve de places disponibles
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Informations pratiques
Date et horaires : 10 mai 2016 de 14h à 18h
Adresse : Maison de la Chimie, 28 bis rue St Dominique 75007 PARIS, M° Invalides ou Assemblée Nationale
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Alzheimer: La relation de confiance
La confiance fait vivre la relation, la nourrit. Une relation basée sur la confiance devient naturellement riche et belle. Si la confiance est absente, toute relation familiale ou autre n’est plus qu’ une coquille vide, il n’y a rien dedans. A la sortie d’une conférence, où samedi dernier j’ai parlé d’Alzheimer et du deuil, j’ai rencontré une dame qui m’a raconté qu’elle avait gardé son mari jusqu’à la fin et elle ajouté « c’était dur » et pour illustrer son propos, elle m’a dit: « Nous habitons le même appartement depuis quarante ans, depuis quarante ans mon mari s’est toujours assis à la même place pour manger et il me demandait chaque jour: « Où je dois m’asseoir? »
La confiance aplanit les difficultés.
J’ai trouvé cette histoire très belle. Parce que la perte des repères s’exprime d’une manière éclatante, mais la relation de confiance aussi. Bien qu’il soit chez lui, il ne se rappelle pas quelle est sa place. C’est l’effet normal et naturel de la perte progressive des neurones qui peut rendre la vie quotidienne si difficile. Bien sur, il ne sait pas où s’asseoir, mais il sait que s’il demande à sa femme, il va pouvoir trouver une place où il sera bien assis et en sécurité. Il a confiance en elle, en ce qu’elle lui dit, en ce qu’elle fait pour lui.
Cette dame est passée en partie à coté de son bonheur, car elle aurait pu se dire: » mon mari a perdu tous ses repères, mais il a confiance en moi: je lui dis où s’asseoir et il s’assoit, N’est ce pas merveilleux? Je suis son repère. Je peux en être fière, car même s’il n’a plus beaucoup de neurones, il sait dans son cœur que je prends soin de lui et que je fais exactement ce qu’il faut pour qu’il se sente bien. Moi aussi je peux me sentir bien, être heureuse et fière de cette confiance réciproque qui existe entre nous. »
Ne pas passer à coté de son bonheur.
Quand la dame m’a raconté cette histoire je sentais bien qu’elle trouvait la question de son mari dérangeante. Comme si elle s’attendait à ce que je lui dise: « Oh! Ma pauvre dame, c’est terrible cette maladie, je compatis… » Elle aurait préféré que son mari ne lui pose pas cette question. Elle aurait préféré qu’il n’ait pas cette maladie, c’est à dire que, sans le savoir, elle a ouvert grand la porte aux clichés négatifs que la société véhicule sur Alzheimer, sur tous ces manques si bien listés par les tests, sur toutes ces déficiences cognitives dont on nous rebat les oreilles. Elle ne s’est pas réjouie de cette confiance, chaque jour renouvelée dans le simple geste de s’asseoir pour prendre son repas. Cette confiance une fois installée ne cesse de grandir au fur à mesure que les repères disparaissent, à condition, bien sur, que rien ne vienne la détruire. Une fois bien établie la confiance résiste à bien des aléas de la vie quotidienne (cf: Qui êtes vous? je ne vous connais pas)
La confiance se nourrit de la bonne humeur.
J’ai une autre histoire qui date aussi de ce samedi. Ce sont deux filles qui viennent voir leur mère qui est en maison de retraite. L’une rit avec sa mère, ce qui sous-entend qu’elle prend la malade et la maladie comme elle sont. L’autre souffre atrocement de voir sa mère dans l’état « diminué et repoussant » où elle la voit. Elle ne sait pas qu’elle interprète l’état de sa mère en fonction des préjugés qui sont ceux de notre société et qu’elle a fait siens. Les deux sœurs emmènent leur mère au restaurant. La mère dit à sa fille qui s’amuse avec elle: « Elle n’est pas très marrante la copine que tu m’as amenée aujourd’hui ». Ce qui est l’expression parfaite du ressenti, dans l’instant, d’une dame qui se trouve au restaurant avec deux jeunes femmes dont l’une est de mauvaise humeur, tandis que l’autre lui sourit. On ne dira jamais assez l’importance de la qualité du regard que l’on porte sur la personne malade. Avec la perte de repère et la perte de mémoire les patients vivent dans un monde fait d’apparitions et de disparitions. Deux personnes sont apparues devant cette dame, qu’elles soient ses filles n’a pas d’importance ni de signification pour elle, elles vont disparaître dans un moment, aussi mystérieusement qu’elles sont apparues. La dame se rend bien compte que l’état émotionnel des deux convives est très différent. Un patient azheimer préfère toujours la bonne humeur à la mauvaise humeur, exactement comme nous. Car la mauvaise humeur le stresse terriblement. Comme le monde se délite sans cesse autour de lui, il a besoin de se sentir en confiance, d’être rassuré, réconforté et non pas agressé par un regard plein de reproches silencieux.
La bonne humeur ouvre la porte au bonheur
La sœur qui ne sent pas reconnue est prête à pleurer et ou à faire un scandale. Moyennant quoi notre patiente Alzheimer va la considérer comme une étrangère (cf les stratégies de survie d’un cerveau alzheimer). C’est le levier de la non-reconnaissance qui joue comme un miroir. Si vous dites: « je ne reconnais pas ma mère! Elle a tellement changée! Ma mère ce n’est pas « ça »! Très logiquement et pour protéger ce qui lui reste de neurones votre mère ne vous reconnaîtra pas non plus. La relation de confiance, une relation de cœur à cœur, peut durer et s’approfondir au fur et à mesure que la maladie avance. Faites vous une amie de la maladie, elle vous le rendra. Soyez de bonne humeur, le bonheur habite tout près de chez vous.
Merci Alzheimer! Le témoignage des demoiselles de compagnie
Début novembre 2015, Daniel, après plusieurs tentatives laborieuses pour se lever de son fauteuil, retombe assis dans son son fauteuil. Je lui demande : « Ça va Daniel ? ». En souriant, il me répond : « Hum ! Je ne suis pas très mort.»
Peu de temps après, il est devenu prisonnier de son lit. Nos enfants se sont réunis autour de lui, et je me disais : « Comme Daniel est gentil de rester là à attendre que tout le monde soit prêt pour son départ. »
Il est parti le 1er Décembre 2015. Nous avons organisé une cérémonie d’hommage au Père Lachaise quelques jours plus tard et j’ai demandé aux demoiselles de compagnie de prendre la parole. Elles se sont consultées et voici ce que l’une d’elle a dit en leur nom:
Nous, les demoiselles de compagnie de Daniel, aimerions partager quelques souvenirs avec vous. Il nous faisait beaucoup de compliments: » Vous êtes souriante, vous êtes très agréable ! » « C’est formidable et remarquable ce que vous faites. Vous êtes intelligente ! Vous êtes belle ». Il adorait chanter: My darling Clementine, A la Claire fontaine, L’Auvergnat, La Marseillaise, et des chansons russes. Il nous parlait souvent en russe, très surpris qu’on ne le comprenne pas, en anglais c’était plus facile pour nous de lui répondre, mais parfois il nous tenait de longs discours dans un langue qu’il était le seul à comprendre. Daniel nous tenait toujours la porte: « Après vous mademoiselle. » Il saluait son propre reflet dans le miroir : « Bonjour monsieur ! Comment allez-vous ? » Quand on se promenait, l’attente au feu rouge était problématique, il pouvait dire: « Vraiment merci pour tout, mais moi j’y vais ! Je vous laisse là ! Merci, Au revoir! ». Il fallait inventer une diversion. Un jour un camion, en reculant, a complètement écrasé son caddy de courses, et Daniel a dit : » Oh non! C’est vraiment dommage! On s’entendait si bien ! ». On riait souvent ensemble, un jour en parlant de ma jupe, il m’a dit : « Elle est très belle votre nappe ! » Tout était toujours inattendu et on ne s’ennuyait jamais avec lui. Récemment, il s’est adressé à son reflet dans la glace de l’ascenseur, il lui a dit d’un air grave : « Monsieur, vous vous n’en avez plus pour longtemps. »
Nous nous sommes beaucoup promené en compagnie de Daniel, et en retour il a veillé sur nous, il était très sensible à nos humeurs et nous demandait quelquefois d’un air concerné : «Est ce que ça va?» Nous ne pourrons pas oublier ses devises : « Écoute la voix de ton cœur, elle ne te trompera pas ! Sois fidèle à toi même ! »
Pour tout cela : Merci Daniel ! Merci Alzheimer !
Alzheimer = neuroleptique automatique
Une prescription banale de neuroleptique
En rangeant des papiers je viens de retrouver une ordonnance en date du 21 mai 2012. Nous venons de rentrer de l’hôpital (cf les ravages d’un week-end à l’hôpital). Daniel est tombé, après 48h d’hôpital, dans un état qui me parait très grave. Inerte, le regard fixe ou les yeux fermés, il ne répond pas aux questions de notre généraliste.
Je ne comprendrai ce qui lui est arrivé que bien plus tard. L’hôpital lui a infligé un traumatisme psychologique et un traumatisme neurologique, qui l’ont définitivement privé de son autonomie. Ce que personne ne soupçonne alors, c’est qu’il a reçu une dose massive de neuroleptique, sans que nous en ayons été informé, ni moi, ni le généraliste.
Une équation dangereuse et répandue
Le généraliste ne devine rien, car il considère, comme une immense partie du corps médical aujourd’hui en France, que:
Alzheimer= agitation/agressivité = neuroleptique et qu’il vaut mieux prendre à titre préventif. Et donc les prescrire automatiquement pour éviter les ennuis.
Je cite un témoignage, reçu via le blog « son généraliste parle « d’agressivité », la juge « insupportable » (voire volontaire …) et vante le mérite de « sédatifs puissants » qu’il veut absolument lui faire prendre de toute force. »
Ce soir-là, sans se rendre compte de rien, notre médecin délivre une ordonnance d’un neuroleptique à prendre tous le soirs. C’est une prescription dont il a l’habitude: neuroleptique automatique à titre préventif. Or, Il n’y a rien dans l’état de Daniel, immobile et prostré, qui puisse suggérer un tel traitement.
Quand le médecin s’en va, il est déjà bien tard et Valérie se rend à la pharmacie de la place de Clichy, ouverte la nuit. Elle revient troublée: « Ils n’ont pas voulu me donner le médicament: on ne vous connait pas! Ils m’ont pris pour une droguée! J’ai insisté et je l’ai eu. »
Je m’inquiète. Je lis attentivement la notice et je décide de ne pas donner ce médicament avant d’avoir consulté le neurologue qui me dira que ponctuellement il est possible d’en donner et que c’est à moi de juger si Daniel est trop agité et si je n’arrive vraiment pas à le calmer.
Une overdose de neuroleptique et des séquelles irréversibles
Quand le médecin s’en va, Daniel dort profondément, il va dormir ainsi pendant trois jours et trois nuits entiers passés à cuver son overdose de neuroleptique. Je le soigne comme s’il était un nourrisson, je lui donne le biberon et je change ses couches. Quand une semaine plus tard il retrouvera ses esprits, mais pas son autonomie, il me dira: « Colette tu es quelqu’un qui connait les choses. »
Ainsi que je l’ai déjà dit et écrit Daniel a perdu définitivement son autonomie le 21 mai 2012. Depuis ce jour, il ne peut ni rester seul, ni sortir seul. Il est perdu dans la maison, ce qui signifie qu’il ne sait plus où sont les toilettes et qu’il faut à chaque fois l’accompagner, la nuit comme le jour, et ainsi pour tous les gestes de la vie: s’habiller, se déshabiller etc…
Ceux ou celles qui lui ont administré ce neuroleptique, pendant cette fameuse nuit du 20 au 21 mai 2012, n’ont certainement pas la moindre idée des conséquences de leur acte et ils continuent sans nul doute à procéder de même dès qu’un patient Alzheimer s’agite. C’est le protocole de l’hôpital. On ne dérange pas un médecin pour ça!
Tirer la sonnette d’alarme
J’aimerai pouvoir tirer la sonnette d’alarme et arrêter le train des neuroleptiques systématiques. Que serait il arrivé à Daniel, si en plus de la surdose qu’il avait reçu incognito, je lui avait ajouté un neuroleptique chaque soir?
Il faudrait au moins une campagne dans les médias du genre de celle « les antibiotiques ce n’est pas automatique », pour sortir de l’itinéraire qui mène au moyen des neuroleptiques systématiques les patients Alzheimer à perdre l’autonomie qui leur reste, quelquefois brutalement.
Le chemin est long. Il faudrait d’abord cesser de considérer les malades d’Alzheimer comme des déments, ce qu’ils ne sont jamais. Quelquefois, à force de prendre des neuroleptiques qui attaquent leur cerveau déjà abîmé par la pathologie, ils tombent dans une telle confusion qu’ils finissent par leur ressembler.
Changer de regard sur Alzheimer, c’est élaborer de nouveaux concepts pour affiner notre connaissance de cette maladie qui reste largement un « territoire inconnu » et notre prise en charge de ces patients qui vivent avec un handicap cognitif évident mais aussi des ressources et des capacités à bien vivre avec leur maladie bien souvent inutilisées, et trop souvent détruites par les neuroleptiques.
Le non-respect du rythme biologique et le refus de soin
Suivre ses envies, un bonheur
Nous sommes dépendants de notre rythme biologique, les patients aussi. Et le refus de soin est un exemple patent de ce non respect du rythme biologique du patient.
Toutes les activités de la journée s’inscrivent dans un temps où les envies et les besoins surgissent. On n’est pas toujours en mesure de respecter son propre rythme: sortir, prendre un bain, faire la sieste, boire, se nourrir au moment où on en ressent l’envie et le besoin. Quand on le fait, on se sent heureux évidemment. Continue reading
Comment renouer avec la bonne humeur après un épisode difficile.
L’ingratitude est ce qui blesse le plus durement les aidants: « Il ne se souvient même pas de tout ce que j’ai fait pour lui, combien de fois je me suis levée la nuit pour changer ses draps, combien de fois il m’ a réveillée. Quel ingrat! Aujourd’hui, il me menace! »
Ainsi le désir d’aider se transforme illico en ressentiment. Ce qu’on reproche à l’ingrat, c’est justement le ressentiment qu’il exprime sans retenue et quelquefois avec virulence. C’est ressentiment contre ressentiment. Dans une relation minée par le ressentiment réciproque une étincelle suffit à mettre le feu aux poudres.
Quelquefois surgit des profondeurs une image de sainteté et l’aidant sent autour de sa tête pousser une auréole : » Face à tant d’ingratitude, je me sacrifie, je suis humiliée, je ne reçois que des reproches ». (cf les reproches injustifiés) L’auréole tient à distance le ressentiment de l’aidant. Un certain temps.
L’ingratitude de l’aidé se traduit par une insensibilité à l’épuisement de celui qui l’aide, rien n’est jamais assez bien, ni fait comme il faut! Alors que je suis est en train de lui enfiler délicatement ses chaussures qu’il est bien incapable de mettre tout seul depuis plusieurs années, Daniel crie: « Aie! Tu me fais mal! »
Les références littéraires sur l’ingratitude: « Il y a des services si grands qu’on ne peut les payer que par l’ingratitude. » (Alexandre Dumas) ne sont pas d’un grand secours. Le manque de considération, que chacun reproche à l’autre, ouvre grand la porte à la tragédie qui s’installe pour de bon avec son long cortège de souffrances partagées. Le ressentiment même refoulé, même contenu, a le pouvoir extraordinaire de tout faire voler en éclats. Quand la protestation explose en menaces violentes, alors la plus belle auréole se brise net sur le carrelage de la salle de bains.
Plus la protestation est forte, plus l’alarme est à prendre au sérieux
Dès que le mécontentement pointe le bout de son nez, dès que la fluidité du quotidien s’effiloche, il faut anticiper et se souvenir que la maladie d’Alzheimer est une maladie de la gestion de l’information. Toute expression désagréable est un signal d’alarme.
La chaussure gauche rentre sans problème, la droite non. En regardant très attentivement, je vois une ampoule rouge et dure sur le petit orteil droit. Parce qu’il ne sait plus gérer les informations qui lui arrivent, Daniel ne peut pas distinguer si c’est la chaussure, son orteil ou moi qui provoque la douleur qu’il ressent d’une manière inattendue et cuisante. Sa protestation est une information dont je dois tenir compte sous peine de lui infliger chaque jour, sans le savoir, un inconfort douloureux.
Le manque d’enthousiasme est un signal
Depuis un certain temps Daniel somnole longuement sur son fauteuil le matin. Je l’ai vu entrouvrir les yeux. Je lui demande s’il veut prendre sa douche. Il répond par un oui timide, car il n’est pas bien réveillé (première erreur). Dans la salle de bain, il dit qu’il n’a jamais pris de douche de sa vie et il veut enfiler le peignoir que je lui mets pour finir de le sécher. Je le lui prends des mains (deuxième erreur), j’attends un peu. Je lui demande d’enlever sa chemise de nuit. Il dit non et s’assoit sur sa chaise. Je m’installe sur le tabouret et j’attends encore en soupirant (troisième erreur), je voulais faire des courses ce matin. Au bout d’un long moment il consent à enlever sa chemise, mais il veut garder ses chaussons, j’essaie de les lui enlever, il contracte ses pieds, j’insiste (quatrième erreur).
En cas de refus et de menace, faire machine arrière
Ainsi j’ai vu et noté son refus de se doucher qui a pris plusieurs formes différentes, mais je n’en ai pas tenu compte. Quand enfin il est sous la douche, je lui propose de lui frotter le dos, il accepte en maugréant, il se savonne à contrecœur et je m’apprête à lui mouiller la tête pour lui faire un shampoing, tout en ayant le sentiment qu’il risque de ne pas apprécier (cinquième erreur). Dès qu’il sent l’eau couler sur sa tête, il réagit comme si je lui versait de l’huile bouillante, il hurle: « je vais te tuer ». Il mime le geste de quelqu’un qui aurait un poignard et le plongerait avec délices dans le cœur de son ennemi juré. Il m’arrache le pommeau de la douche et veut m’asperger en me fusillant du regard. Je ferme les portes de la douche. Je me sens les jambes coupées.
La crise a duré moins d’une minute, j’attends et je lui tends la serviette pour qu’il se sèche, je suis toute retournée. J’étais si fière de ce rituel de toilette matinale qui se passait bien jusqu’à ce matin. Une fois l’émotion passée, Il faut comprendre les interactions.
Je l’ai non pas « invité« mais « moralement contraint » à rentrer sous la douche. La sensibilité aussi bien physique qu’affective est multipliée par la maladie et c’est cette sensibilité très grande dont il faut tenir compte. L’élément douloureux occupe toute la conscience du patient ne laissant de place à rien d’autre. C’est par manque de neurones que la personne de l’aidant ne peut pas être prise en considération au moment où la sensation pénible est trop forte pour le malade comme dans le cas d’une rage de dent.
Un souvenir douloureux et inquiétant
Il a du se passer quelque chose lors du dernier shampoing. Je me n’en souviens pas précisément, mais lui si, il a du vivre une expérience désagréable qui a laissé des traces dans sa mémoire. En faisant un gros effort, je me rappelle vaguement ses yeux rougis à la sortie de la douche. Il s’est frotté le visage avec les mains pleines de savon, le shampoing que j’utilise est un shampoing pour bébé qui ne pique pas les yeux…mais pas le savon.
Je décide après une longue réflexion de faire « ses trente- six mille volontés », c’est à dire de ne le contraindre nullement, directement ou indirectement, dans aucun des gestes de la vie. Le lendemain matin il ne veut pas se doucher, je réponds: « Ok, quand tu voudras tu me le diras. » Ce qui s’appelle le respect de l’autre personne.
Le retour de la bonne humeur
Sa demoiselle de compagnie me dit: « Daniel est particulièrement de bonne humeur aujourd’hui! » Je me rends à l’évidence et ma bonne humeur revient aussi. Au bout de deux jours, le soir, il veut se doucher. Je procède avec d’infinies précautions. Je parle d’un shampoing, il refuse. Ok. Le lendemain je lui propose de se mouiller lui-même la tête, ce qu’il fait avec plaisir mais il ne veut pas de shampoing. Ok. La salle de bains est le lieu de tous les dangers. Je le savais mais je l’avais oublié.
Au bout de quatre jours de ce nouveau mode de relation, Daniel me dit : » j’aime comme tu es. » Quand la bonne humeur revient à sa place, il n’y a plus nulle part ni ingratitude, ni protestations, ni menaces, juste du bonheur
Crédit photo: © reznik_val – Fotolia.com
Souvent accompagner un malade consiste à ne pas intervenir
Si on garde à l’esprit qu’Alzheimer est une maladie de la gestion de l’information, il ne faut pas passer à coté des reproches quels qu’ils soient. Un reproche venant du malade est une information précieuse, même si dans un premier temps on se sent vexé et blessé par tant d’ingratitude.
Attention aux interventions rapides
En pleine nuit Daniel se lève, je pense qu’il cherche les toilettes, j’allume la veilleuse et je bondis hors de mon lit pour voir ce qui se passe. J’ouvre la porte des toilettes. J’allume la lumière. Daniel se déplace et les regarde d’un air dégoûté. Manifestement ça ne l’intéresse pas. Je constate que sa chemise est mouillée et son lit aussi. En poussant un soupir de protestation, je m’apprête à refaire le lit et Je lui propose d’enlever la chemise pour lui en mettre une autre. Il refuse net et s’assoit au bord du lit, comme s’il était assiégé par une armée ennemie et n’avait aucune intention de se rendre.
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