Pour aider les aidants, on n’en finit pas d’inventer des approches qui ont pour conséquences d’éloigner le patient de son entourage et de rendre encore plus compliquée la relation de soins. Les informations et les statistiques circulent mais peu sont utiles et beaucoup sont nocives.
Qui tombe dans le déni?
Comme l’écrit si justement une lectrice de ce blog: « Je commençais à me sentir un peu seule à ne pas être dans la complainte permanente. Certains gentils bénévoles, ou même quelques médecins ont même avancé que je devais (forcément) être dans le déni, pour ne pas me sentir épuisée ou déprimée devant une situation aussi catastrophique. »
Contrairement aux idées reçues, les bénévoles ne sont pas automatiquement « gentils ». Souvent ils ont assez mal vécu leur relation d’aide qui leur a procuré une « compétence » ou plutôt une motivation pour se faire bénévole. Quant aux médecins, surtout les généralistes, ils ne connaissent pas la maladie d’Alzheimer. Même si on peut leur prêter des connaissances universitaires sur le fonctionnement du cerveau, ils n’ont aucune idée de ce que c’est que de vivre chaque nouvelle journée avec un patient Alzheimer. Ils sont rapides à prescrire du Lexomil ou un autre neuroleptique sans qu’on le leur demande et conseillent du haut de leur autorité un placement en institution qui leur parait être « le remède de fond » de la pathologie. Si l’on proteste que tout va bien, qu’on gère les situations compliquées, c’est que l’on est dans le déni, qu’on risque de tomber gravement malade et de mourir suivant la fameuse statistique selon laquelle 30% des aidants meurent avant leurs aidés.
C’est celui qui le dit qui y est!
Au cours de la soirée passé au Ministère de la Santé (cf ma soirée), j’ai réalisé d’un seul coup que notre société toute entière vit dans le déni, le déni de la condition humaine, le déni de la maladie, le déni de la mort et même le déni du désir d’aider son semblable et d’y trouver du plaisir.
Au lieu de demander à ceux qui ne se sentent ni épuisés, ni découragés, comment ils font pour gérer les difficultés qui se présentent, car ils ont des choses précieuses à apprendre aux autres, on les rejette tout crus dans la grande marmite du déni. Ainsi on est certain qu’ils ne pourront déranger ni les certitudes du corps médical et ni celles des bénévoles, forgées à coup d’études coûteuses et de statistiques discutables. Une intervenante a protesté de toute son âme sur le fait scandaleux que des enfants puissent aider leur parent ou leur grand parent: statistiquement une étude anglaise a démontré que ces enfants n’allaient pas « réussir socialement » autant que les autres!!! Nul doute que ceux qui ont mené cette étude ont su définir les critères indubitables de la réussite sociale individuelle! Il est certain que la relation d’aide est toujours un fardeau pour l’individu isolé que notre société se plait à imaginer comme un ou une célibataire de 30 ans qui saute sur son velib’ ou sur un kite surf dès la sortie du super boulot, avant de faire des rencontres excitantes par écrans interposés.
Cette illusion de la réussite sociale de l’individu solitaire relève du fantasme, car de telles personnes n’existent pas en réalité, même si elles servent de modèle à beaucoup. Un enfant qui aura eu l’occasion d’aider son parent ou son grand parent aura peut être appris très jeune le bonheur que peut donner une relation d’aide, à la seule condition qu’elle ne soit pas vécue sous la contrainte.
Le deuil blanc ou le déni de la vie.
Quant au « deuil blanc », c’est une manière de refuser de reconnaître les changements qui affectent la personne malade. La pathologie change le quotidien de la personne, ses compétences, ses capacités, son mode de vie, ses relations. On décide que cette personne n’est plus elle-même et in fine n’est plus une personne. Pourtant tant elle vit, elle est vivante, elle n’est ni un mort en sursis, ni un fantôme doué de corps, ni un individu privé d’identité, ni un être humain privé d’humanité.
Ceux qui refusent de reconnaître la personne, dans ce qu’elle est devenue, disent qu’ils doivent en faire le deuil alors qu’elle est vivante : » Elle ne reconnait plus personne, ça ne sert à rien d’aller la voir », comme le dit un personnage de la Confusionite (cf la confusionite)
Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. Si je prétends que tu es un mort-vivant, un mort-blanc, c’est tout simplement que je veux me débarrasser de toi, mais je veux le faire avec élégance alors je pratique le deuil blanc, conseillé par des psychologues. C’est d’un chic!
Les patients Alzheimer, dont le cerveau se défend comme il peut contre le stress, ne peuvent pas entrer en relation avec ceux qui ne les reconnaissent plus, ceux qui ne leur accordent ni la considération et ni le respect que l’on doit à un être humain malade qui vit la vie qui est la sienne.
crédt photo: © varandah © dule964
Cette article montre la véritable image de l’aidant, cette situation est bien triste !
Il existe des associations pour aider les aidants a affronter cette situation, je pense qu’il est important pour leur bien être de se faire aider
Bravo pour cette chronique dont je partage totalement l’esprit; il est temps de reconnaître aux aidants le droit à une réappropriation de soi et de leur relation avec leur proche confronté à des difficultés cognitives (en les aidant si nécessaire dans cette démarche) plutôt que d’asséner en dogme la nécessité de recourir à des aides extérieures, de médicaliser voire d’institutionnaliser.
Les travaux de la sociologue belge Natalie Rigaux sont aussi très intéressants à cet égard, dans la vision d’un rapport d’échanges bien plus équilibré que ce que les médias assènent à coup de « fardeau insupportable de l’aidant » – il va devenir de plus en plus insupportable d’être « l’aidé » dans ces conditions…