La recette de Colette vue par sa fille

 

Je viens de retrouver ce texte écrit par Katherine Roumanoff en 2014 et je suis ravie de le partager avec les lecteurs du blog.

« Mais comment fait cette femme pour supporter son mari Alzheimer avec le sourire ? Tout lui va, elle rit des jeux de mots involontaires, des situations cocasses, et on dirait même qu’elle en redemande ! » Quelle est la recette de Colette ?  Des comportements vérifiés par l’expérience avec à l’arrière-plan une philosophie.

1- L’instinct maternel.

Quand un petit enfant pleure, la mère attentionnée se penche sur lui, et le regarde attentivement pour essayer de comprendre ce qui se passe. Il est trop petit pour parler, alors il faut deviner. Quelle est la cause de son malaise et que faire pour y remédier ? A-t-il trop chaud, trop froid, a-t-il faim, a-t-il mal au ventre ? Quelle réponse apporter ? Il y a des essais, des ratés, des succès et puis peu à peu l’expérience s’installe.Colette a toujours eu l’instinct maternel, un talent particulier avec les nourrissons. Elle est comme une mère attentionnée pour son mari.Le mal être du patient, qui a du mal à s’exprimer est souvent physique : chaud, froid, faim, digestion difficile, envie d’uriner…

2- Le narcissisme.

Colette cherche, expérimente, et se réjouit à chaque fois qu’elle met en place une solution avec succès. Elle se trouve astucieuse et est souvent très contente d’elle quand « ça roule », quand le rapport est harmonieux. Elle reçoit ainsi des influx positifs d’elle-même. Elle se félicite de ses trouvailles. Papa lui envoie des regards pleins d’amour qu’elle reçoit en plein cœur, sans faux semblant. Certaines personnes l’admirent, l’encourage, et c’est des gratifications qu’elles reçoit.

 3- S’adapter aux circonstances sans état d’âme

La maladie progresse et les solutions, mettre des étiquettes autocollantes partout pour désigner les objets du quotidien (« dentifrice » sur le tube pour éviter de le confondre avec la mousse à raser, « vaisselle » pour le liquide vaisselle, afin de le distinguer du flacon de savon liquide, où sera écrit en gros « mains »… « Frigo », en gros sur le frigo, car sinon il pourra être confondu avec le placard, sont des solutions efficaces un temps. La maladie progresse et le temps des étiquettes est dépassé ? Il faut sans cesse faire preuve de créativité pour pallier les synapses disparus. Daniel se levait la nuit et avait l’habitude de prendre sur sa table de chevet une petite lampe de poche. La lampe de poche a été mise dans le tiroir de la table de nuit, impossible pour Daniel de la retrouver. Colette enlève le tiroir de la table de nuit !

Ce qui compte, ce n’est pas la déco, les habitudes, mais l’adaptation aux besoins présents, la recherche d’une efficacité immédiate qui lui facilite la vie, à lui, mais aussi à elle, première bénéficiaire de toutes ses trouvailles. Daniel va dans la salle de bain, et au lieu de s’asseoir sur les toilettes, s’assoit sur la chaise. Hum ! quel drôle d’odeur ! Pas d’affolement : Colette enlève la chaise. Un nettoyage par le vide.

4- Exit les reproches et la mauvaise humeur.

  • « Mais qui a mis le grille-pain au frigo ? «
  • « Enfin on ne met pas son pantalon par-dessus son pyjama ! »
  • « Les draps sont dans le même placard depuis 30 ans, tu pourrais t’en souvenir ! »

Autant de phrases à éviter pour préserver l’harmonie ; les accusations sont sans fondement, la personne « ne fait pas exprès », elle est dans la confusion la plus totale. Les reproches sont nuls et non avenus, ils sont sources d’incompréhensions, de frustrations, de stress et sont à bannir définitivement, sous peine de le payer très cher. Difficile de réinstaurer la confiance après, il faut remonter la pente, (Colette parle de ligne jaune à ne pas franchir). Si on a quelque crédits (des points sur son permis de conduire un patient) c’est plus facile de rattraper une grosse maladresse.

5-Un objectif : L’harmonie

La maladie est mal faite, le malade oublie tout sauf les maladresses relationnelles, il peut être profondément blessé et perdre encore plus ses moyens.  La relation dégénère alors très vite. Le malade devient violent, tout le monde le déplore, mais c’est l’aidant, la personne en première ligne qui paye. Et personne de se demander, mais qu’est-ce qu’on a fait de travers, juste avant ? Et surtout comment faire pour rattraper le coup. Etre patient et astucieux.

Colette élimine de son entourage, sans pitié, toute les personnes susceptibles de saper son travail : les plaignantes, les dramatiques, les déprimées, les stressées. « Mince ! il ne pourrait pas oublier que j’ai piqué ma crise, exprimé de la mauvaise humeur, que je lui ai hurlé dessus ? » Mais non, il est perturbé pour des heures.  Il n’a plus de distance de protection, de filtre émotionnel, il se sent facilement humilié, à l’inverse, il peut témoigner de la reconnaissance et de l’amour sans filtre, directement. Et c’est, ma foi assez sympa à recevoir ! Finalement comme un enfant éperdument reconnaissant à l’adulte qui sait bien s’occuper de lui.

Daniel et Colette sont parfois en « pleine lune de miel », et Colette sourit en se souvenant que parfois son mari était très critique, difficilement satisfait et intransigeant ! Y a-t-elle gagné au change ?  Comment Daniel fait pour se repérer, malgré tout ? Comment fait-il pour compenser ? Colette est sincèrement épatée, admirative.

6- Observer, deviner, trouver les réponses qui marchent.

Les mots n’ont plus de sens, le mot « travail » par exemple revient souvent, et désigne, peut-être, l’action dans un sens large. Un mal à l’aise physique, une agitation, l’envie de partir « à Paris » ou tout à fait ailleurs peut très bien signifier une simple envie d’aller aux toilettes.

A une période, Daniel à la tombée de la nuit avait envie de partir, « à Paris », chez lui, alors qu’il y est déjà, cela s’entend. C’est compliqué, il se sent mal, il sent que quelque chose ne tourne pas rond. Il cherche une explication, et il souhaite retrouver un lieu plus familier, où il pourrait retrouver ses repères.

  • « Mais papa tu es à Paris, ici, chez toi ! »

Mauvaise pioche ! Il s’agit d’agrandir l’espace des réponses possibles. Le malade croit vite qu’on se moque de lui, il se sent incompris et se sent encore plus perdu, il stresse. Ni une ni deux, Colette lui dit « je t’accompagne, on y va, je viens avec toi » et ils sortent tous les deux. Arrivés dehors, Daniel ne se souvient plus de sa demande, il est content de prendre l’air, ils vont au café du coin boire un chocolat. Ne pas contrer frontalement. Détourner et répondre à sa manière.

Daniel gardait la clé de l’appartement dans sa poche, vient le temps de la mise en place d’un digicode. Daniel demande pourquoi il n’a plus de clé.

Bon, si vous avez bien suivi ce que je raconte, sélectionnez la bonne réponse.

  • Avant il y avait une serrure, maintenant, il y a un code.
  • C’est parce que tu as Alzheimer, gros bêta, c’est ta faute si on est obligé de dépenser de l’argent pour installer ce truc minable. C’est pour ça que je t’enferme, tu ne peux plus sortir tout seul.

L’enfant grandit et change, tout pareil avec Daniel, rien est acquis, donc on ne s’ennuie pas. Parfois il faut jouer serrer et Colette fait preuve de fermeté. Il ne s’agit pas de répondre à tous les désirs, toutes les remarques, mais parfois de bien cadrer, trouver les mots justes pour réduire l’espace de discussion.

7 – Pas de sacrifice, une philosophie

Colette insiste sur le fait qu’il n’y a aucune sorte de sacrifice dans son comportement, elle s’appuie sur une philosophie liée à l’enseignement de son maître indien mis en pratique à bon escient.  Voici quelques citations révélatrices de cette philosophie, avec des suggestions de mises en pratique.

A- Le Changement.

« Si vous gardez à l’esprit qu’il convient d’agir selon les situations changeantes, toute situation devient pour vous une source de jouissance. »

« La nature c’est le changement, tout ce qui vient s’en va. »

En pratique: se dire et se répéter : c’est normal, changer, c’est normal, être malade, c’est normal… C’est la nature de la vie.

B – Accepter ce qui est.

« Ayez le courage d’affronter les faits. Accepter ce qui est, n’essayer jamais de le refuser. »

  • En pratique : voilà qui coupe court à toutes formes de lamentation. Le contraire de la plainte classique et répétitive : « mon mari était si brillant, quel dommage quel gâchis. Tous les projets qu’on avait… »

 « Accepter c’est être actif et non passif. »

– En pratique : Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On colle des étiquettes, on prépare ses habits, on lui réapprend à se servir de la douche…

C – Responsabilité.

« Vous êtes responsables de votre bonheur, vous seul et personne d’autre… en vérité il n’y a pas de cause extérieure, tout est dans la manière d’absorber. » 

« … ce n’est pas les autres qu’il faut changer c’est vous même. »

« … dans l’action si vous obtenez de mauvais résultats c’est parce que vous avez agi sans connaissance ou compréhension appropriée, vous ne pouvez qu’en souffrir. »

En pratique : voilà qui encourage à regarder la réalité en face, il n’y a pas d’autre choix : essayer par l’action d’obtenir les résultats qui nous va. On est donc bien maître à bord de sa vie, même si l’on se sent, bien souvent, impuissant.

D – Faire sien !

« Tout homme agit toujours dans son propre intérêt. Personne ne peut agir autrement. La différence réside simplement dans l’étroitesse ou l’étendue de ce qu’il considère comme son propre intérêt. »

En pratique : Colette a intégré complètement les problèmes de Daniel dans sa façon de vivre, son emploi du temps, elle s’occupe de lui, comme elle s’occupe d’elle-même. Il n’y a pas de sacrifice, car ce n’est pas un sacrifice de s’occuper de soi-même, on appelle même cela de l’égoïsme.

E- Réaction de cause à effet :

« Celui qui est blessé ne peut pas s’empêcher d’être agressif. La victime réagit en assassin. Aussi la victime et l’assassin sont deux faces opposées, les deux aspects de la même expérience. »

En pratique : il est si facile de blesser un patient qui de toute façon est blessé rien que par son environnement familier qu’il ne reconnaît plus, il est fragile et a besoin de réassurance en permanence. Il est déjà victime, on comprend comment la situation peut dégénérer très vite. Peu de gens comprennent que le simple « mal à l’aise, ou revendication du patient, ou encore indifférence » n’est pas une forme d’agression, le malade étant malade. C’est très vite source de malentendus, le patient recevant les infos sans filtre, se sent agressé, réagit et c’est l ‘escalade. Se souvenir que le malade est malade, même si ça ne se voit pas.

Et pour compléter :

« Le ressentiment est la responsabilité que l’on attribue à l’autre ».

F-Satisfaire ses désirs :

« Un désir ne peut disparaître de lui-même sans recevoir la satisfaction qui lui est due. La nature est telle que vous devez le satisfaire, sinon il prendra sa revanche et vous détruira. »

En pratique : L’aidant doit prendre en compte ses propres désirs, faire le tour de monde, s’amuser, écrire des poèmes… etc. Et les réaliser dans la mesure de ses moyens et des circonstances.

Et enfin : « Pour celui qui dépasse ses limites, la vie est une tragédie. »

Texte de Katherine Roumanoff été 2014

Vous pouvez retrouver les citations dans l’ABC d’une sagesse publié chez Albin Michel

L’attention aux petites choses et le déclic

Voici un message reçu ce jour sur Facebook que je publie ici car il y est question des petites choses et d’un déclic, celui qui arrive quand on se rend compte que le malade ne le fait pas exprès.

« Bonjour Madame, Je vous remercie infiniment pour vos livres : j’ai commencé par « Alzheimer accompagner ceux qu’on aime » et je viens de terminer « le bonheur plus fort que l’oubli ». J’ai donc mis en « pratique » vos indications pour ma belle-mère (diagnostiquée depuis bientôt 4 ans mais que je voyais « perdre ses crayons » comme on dit chez moi) et voyant que ça marche mon compagnon (son fils) accepte de suivre mes indications vos indications. Et nous mettons en place des petites choses afin qu’elle puisse rester chez elle le plus longtemps possible, tout en sachant qu’elle devra venir vivre avec nous dans quelques temps selon l’évolution de la maladie. Merci Madame, je n’ai qu’une hâte : pouvoir assister à une représentation de la Confusionite » ce sera édifiant. Depuis je conseille vos 2 livres autour de moi afin d’aider le plus possible de personnes aidantes qui pensent que la personne atteinte d’Alzheimer le fait exprès. Merci madame vous nous avez plus aidé que la plupart des « soignants » rencontrés. »

Les petites choses

Dans la gestion de la maladie, ce qui compte le plus, ce sont tous les petits détails de la vie quotidienne. Comme le dit si bien cette dame:  » Nous mettons en place des petites choses. » C’est en s’occupant de tous les petites choses du quotidien que l’on peut se rendre compte, et c’est un détail qui change tout, que la personne atteinte d’Alzheimer ne le fait pas exprès. Plus qu’un détail c’est un déclic qui va modifier toute la vie du malade et de son entourage.

Tant qu’on regarde les choses d’un peu loin et qu’on ne rentre pas dans les détails, qu’on n’observe pas attentivement les petites choses du quotidien, toutes les interprétations restent possibles.  On peut s’imaginer de bonne foi que le malade le fait exprès et prendre des décisions qui aggravent la situation au lieu de l’améliorer.

Le déclic

Nous avons joué La Confusionite à Rochefort, en Belgique le 29 novembre. La ligue Alzheimer de Belgique avec sa présidente Madame Sabine Henry et la ville de Rochefort ont organisé la venue de notre Compagnie théâtrale. La ligue dans sa revue en a publié le compte rendu « La Confusionite à Rochefort: Une soirée déclic. »  En voici un extrait:

« A travers des situation cocasses et autres comiques de situation, le spectateur perçoit la vision de Colette et Valérie Roumanoff, les auteurs: après le diagnostic la vie continue! Certes elle change, les choses sont différentes; mais  pas moins bien! Au contraire! Après une heure de présentation et trente minutes d’échange avec Colette Roumanoff et Sabine Henry, le public ressort conquis: « J’ai compris! » « Cela a changé ma vision des choses! »

 

 

 

 

Eviter les films interdits aux moins de 10 ans.

Pourquoi éviter les films interdits aux moins de 10 ans? Pour ne pas se compliquer la vie.

Au fur et à mesure que la maladie avance, il faut sécuriser la maison et le jardin et rendre l’environnement le plus confortable possible. Il faut éviter les courants d’air mais aussi pouvoir aérer, déplacer ou supprimer des meubles.

Sécuriser l’environnement

L’idée est d’anticiper pour éviter les situations désagréables, Mettre sous clé les produits dangereux et ou les faire disparaître ainsi que les outils de jardin. Sécuriser la cuisine en mettant des plaques à induction. Dans la salle de bains installer une douche avec un mélangeur, une grande porte et  un chauffe serviette. Il faut remettre en services des clés ou en faire installer et coder la porte d’entrée de l’appartement ou du jardin, pour pouvoir se sentir en sécurité. Les clés à l’intérieur sont souvent indispensables. Le patient confond une porte et une autre porte, il peut ouvrir un placard à vêtements, croyant que c’est les toilettes. donc fermer le placard à vêtement à  clé, la clé peut rester sur la porte. La porte des toilettes est toujours entrouverte. Pour la nuit on peut essayer différents types de veilleuse pour trouver la bonne. Faire une provision des ballons qui se gonflent à la bouche et avec les quels on ne peut ni se faire mal ni casser quelque chose dans la maison.

Eviter les loisirs stressants

Aller au cinéma est généralement bien reçu, surtout  s’il pleut ou qu’il fait trop froid ou trop chaud pour faire de longues promenades, mais il faut faire très attention au choix du film  pour éviter tout ce qui est stressant. Pas de violence, pas de zapping. Un film calme et chaleureux ce n’est pas facile à trouver  aujourd’hui, car la violence, l’horreur et les histoires sinistres sont à la mode. Les films policiers ont envahi toutes les chaines de télévision.

Alors il y a une recette bien simple: Eviter les films interdits aux moins de 10 ans, simplement parce qu’ils peuvent provoquer des cauchemars qui auront du mal à se dissiper. C’est ce qui m’est arrivé , j’avais voulu voir à la télé le Grand Pardon, que je n’avais jamais vu au cinéma. Roger Hanin a une bonne bouille, il dégage une certaine chaleur humaine, mais il y a des horreurs qui arrivent brutalement dans ce film.

Un patient Alzheimer  ne sait plus mettre de distance entre le film et la réalité. Daniel avait l’air attentif et pas affecté, Je jetais un œil vers lui de temps en temps. J’aurai éteint sans hésiter si je l’avais vu troublé ou inquiet. Le lendemain, après une courte sieste, il m’explique qu’il doit trouver de l’argent car il y a une personne qui l’attend au bout du jardin avec qui il doit travailler… qu’il faut y aller tout de suite…est ce que je peux l’aider à trouver de l’argent et des clés, il n’a pas de clés, ça c’est incroyable!!! Est ce que je viendrai avec lui???

Je réponds: « Oui, je viens avec toi, mais où allons-nous? » Ça l’énerve et il me dit d’un ton fâché que je ne le comprends pas. J’ajoute d’une voix calme: « Tu as du faire un cauchemar, un mauvais rêve, moi aussi je fais des rêves… »

 Parler de ce qui est là

Mauvaise pioche! Je change de tactique et j’essaie de lui parler de ce qui est là. Je lui explique qu’il est propriétaire de cette maison, que nous sommes en vacances, qu’il est à la retraite, qu’il a beaucoup travaillé dans sa vie. (Je sais que ses parents, quand il était petit, ont été longtemps inquiets de ne pas pouvoir payer le loyer à la propriétaire). il n’y a pas bien longtemps, il m’a dit:  » As-tu pu t’arranger avec la propriétaire pour cette maison car elle est vraiment bien. »

Il ne me croit pas mais apprécie que je continue à lui parler. Comme il veut aller au bout du jardin nous nous mettons en route en faisant le plus grand détour possible et je lui montre tout ce qu’il a réalisé dans le jardin. « Tu vois ce mur en pierres sèches, c’est toi qui l’a construit. Et ces arbres c’est nous qui les avons plantés. »

Par moment il a peur et par moment il a envie de pleurer. Je lui dit que je l’aime, je le prends dans mes bras. Il me dit merci. Je détaille les arbres, les buissons, les fleurs. On continue de marcher à petits pas. Le portail est en vue et d’un seul coup il se produit comme un déclic. Il dit: « Je ne sais pas ce que j’ai eu, un état bizarre »… Son sourire est revenu, je soupire de toute mon âme. Je décide: plus jamais de films interdits aux moins de 10 ans. La crise a duré quarante-cinq longues minutes.

Ensuite nous avons souvent regardé des documentaires sur Arte ou encore des films américains des année 50 en dvd et des comédies. Heureusement il y a en a de temps en temps. Sa préférée était: « Qu’est ce que j’ai fait au Bon Dieu » je crois qu’il l’a vue sept fois au cinéma.

 

 

Une question répétitive: « Où est ma mère? »

 

Une correspondante m’écrit: « Depuis un certain temps une question étrange revient sans cesse et pratiquement plusieurs fois par jour. Il me demande « où est ma mère ? » Je lui réponds qu’elle est morte depuis 46 ans. Il répond que ce n’est pas possible ! Puis il recommence plus tard et tous les jours, me demandant si elle dort dans une des chambres de notre maison. Cela n’arrête plus. J’aimerais savoir si cette attitude est courante ? Et que puis-je faire ? »

Une question répétitive est un signal d’alarme.

Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer souvent une question répétitive n’est pas une question, c’est un signal d’alarme. Une question répétitive qui a trait au passé est un double signal d’alarme.

Avec une question répétitive le cerveau du malade se met à « bugger » à tourner en boucle comme un disque rayé,  car il est incapable de gérer un stress qui peut venir d’une douleur ou d’un inconfort physique ( d’un corps au pied ou d’une dent cariée etc..) ou encore d’un événement perturbateur. S’il demande où est sa mère, c’est que dans sa vie d’aujourd’hui il considère que sa sécurité et sa survie sont en danger. Aller voir sa mère lui parait un bon moyen de retrouver la sécurité qu’il a perdue.

S’il peut retrouver son sentiment de sécurité grâce aux actions appropriées de son entourage, il n’aura plus besoin de savoir où est sa mère et la question disparaîtra d’elle-même. Lui dire qu’elle est morte ne répond pas à son malaise mais au contraire l’augmente, car la solution qu’il a trouvé, et qu’il a peut être longtemps cherché, pour sortir de son malaise: « je vais aller voir ma mère » vous lui démontrez que c’est une solution impossible et même ridicule. Ce qui doit lui faire énormément de peine et le mettre en échec.

C’est une manière de franchir « la ligne jaune » (attaquer le malade sur sa pathologie) même si d’un certain point de vue la mort de sa mère correspond à une vérité factuelle. Mais avec la maladie d’Alzheimer la première des priorités est le bien-être du malade, grâce  auquel on peut obtenir une collaboration active et un retour affectif. La vérité des faits ne compte plus. Vous pouvez lui dire que sa mère est absente, qu’on ne peut pas aller la voir maintenant et qu’il y a d’autres personne à qui l’on peut rendre visite. En résumé, il faut commencer à faire la chasse à ce qui le fâche et à  ce qui ne lui plait pas.

Ce qui fâche le malade

« Quand il remarque que j’ai repris son travail,  lorsqu’il m’entend parler au téléphone avec l’assureur, il se fâche violemment. » Il sent dépossédé son travail. C’est un sentiment que l’on peut comprendre, une pilule amère qu’on peut l’aider à avaler, en rendant les choses le plus légères possible.

Pour éviter le conflit qui vous perturbe-vous pouvez vous raisonner- qui le perturbe- il ne peut pas se raisonner- il suffit de téléphoner quand il n’est pas là et de ne pas lui parler de ce que vous faites. La profession comme la conduite automobile sont des domaines d’affirmation de soi. Quand ces domaines disparaissent, comme s’ils étaient brusquement confisqués, c’est toujours douloureux pour le malade. C’est à vous de lui trouver des activités qu’il peut faire avec plaisir et des personnes avec qui il peut les faire avec plaisir. Il vous appartient, car vous devez gérer sa vie et la votre, de  dégager du temps sans lui où vous pourrez reprendre son travail, avec plaisir, et en toute tranquillité. Il convient de renouveler le mode d’emploi des journées pour qu’il satisfasse en profondeur les deux parties: le malade et son entourage.

Ce qui ne plait pas au malade

« Une fois par semaine je l’emmène pour une petite journée à l’accueil de jour pas loin de chez nous. Mais cela ne lui plait pas, car on le « commande trop » ! dit t-il, en ajoutant que les personnes présentes sont bien malades ! »

L’accueil de jour ne convient pas à tous les malades, ni à tous les stades de la maladie. Ce n’est pas parce qu’on est diagnostiqué « Alzheimer » qu’on doit forcément y aller. C’est une possibilité, qui peut plaire au malade, certains y vont avec plaisir. Il y a des gens qui aiment les activités de groupe, d’autres qui préfèrent les expériences individuelles. « Des goûts et des couleurs on ne  discute pas » dit un vieux proverbe.

Le malade perd en premier lieu sa capacité à argumenter, il pourra difficilement donner trois ou quatre raisons pour expliquer pourquoi il préfère ne pas aller à l’accueil de jour. Là, il vous en a déjà donné deux. C’est bien assez pour tenir compte de son avis. Ce serait dangereux pour la suite de ne pas le faire. Le malade a beaucoup de mal à exprimer ses préférences et ses sentiments. Quand il y arrive ce serait stupide de ne pas en tenir compte. On peut obliger un malade, comme on peut obliger un enfant, à faire des choses qu’il n’aime vraiment pas,  mais la frustration s’accumule et un jour ou l’autre elle peut exploser.

Aménager la vie pour apaiser le malade

Vous pouvez jouer sur ces deux éléments en aménageant au malade une vie qui lui soit aussi agréable que possible, car lui ne peut plus gérer sa vie. C’est justement cela sa maladie. Notre société tend à nous faire  croire qu’un malade qui perd la mémoire ne comprend plus rien, ne sent plus rien, ne désire plus rien, ce qui excuse d’avance toutes les dérives et toutes les maltraitances. Vous savez parfaitement que cela est faux.

Quand vous aurez réaménagé ces deux aspects de sa vie, s’il continue à réclamer sa mère c’est que votre travail ne sera pas tout à fait fini. Si vous réussissez à l’apaiser, votre vie deviendra facile et vous vous sentirez forte et joyeuse.

Alzheimer autrement :Le Bonheur et la Confusionite

 

Dans cet interview de Colette et Valérie Roumanoff, réalisé par France 2 pour l’ Emission  « Je t’aime etc.. » on parle du vécu avec Alzheimer et de la Confusionite.

Une nouvelle vision de la maladie fait son chemin, même si les commentateurs ont légèrement déplacé le curseur qui va du « bonheur » à « l’amour » : Le titre de l’émission oblige.  En général j’évite de parler d’amour, car c’est un terrain assez chaotique et un mélange de concepts plutôt confus. Je préfère parler de bienveillance, d’attention, de respect, d’écoute, de relation à double sens, de neurones miroirs, d’empathie.

L’idée qu’on peut arrêter d’avoir peur de cette maladie commence à se répandre et c’est pourquoi les paroles des commentateurs sont si précieuses. Celles du Docteur Gérald Kierzek sont à retenir: il explique comment dans le cerveau la mémoire et les émotions sont dissociées. Les transmetteurs d’émotions circulent librement dans un cerveau malade où les fonctions de la mémoire sont abîmées. La mémoire et la sensibilité sont deux domaines séparés. Ce que l’on peut observer quotidiennement dès qu’on est en rapport avec un malade. Un patient qui ne connait ni son adresse ni  son solde en banque peut éprouver milles et une émotions en une seule journée. Notre société est en train de changer de regard vis à vis de la maladie d’Alzheimer et je m’en réjouis profondément.

Alzheimer l’ ABC

Le A de l’ABC d’Alzheimer: L’observation bienveillante

Pour pouvoir pratiquer l’observation bienveillante il faut arrêter d’avoir peur de la maladie. La peur brouille l’esprit et paralyse l’intelligence. Si on a peur de la maladie on aura peur aussi du malade et on le regardera de travers, en s’attendant au pire. Quand on lutte contre la maladie, le malade devient l’ennemi. Pour arrêter d’avoir peur, il faut se débarrasser des idées négatives qui traînent partout quelquefois mêmes sous forme de « conseils aux aidants. »

Voici deux exemples d’idées néfastes dont il faut se débarrasser au plus vite:

« Lutter contre le déni de la maladie ». L’idée est que le malade doit être conscient de sa maladie pour qu’il puisse être rééduqué, comme s’il devait d’abord avouer un crime ou une honte pour accepter le travail de stimulation  souvent imposé par les professionnels, qui cherchent à le faire revenir dans la norme. On demande à l’aidant de rappeler souvent au malade sa maladie au cas où il aurait « des éclairs de lucidité. » Le rappel de sa maladie va rendre le malade triste, le vexer ou le blesser, il sait trop bien qu’il a des difficultés quotidiennes. Ce n’est pas une raison pour appuyer où ça fait mal. Lutter contre le déni de la maladie est une manière efficace d’empoisonner la relation du malade avec son entourage.

« Faire le deuil blanc ». L’aidant doit faire le deuil de l’image de son proche atteint, un travail de deuil véritable, parce que la maladie est vue comme une mort  virtuelle, une « mort sans cadavre ». Ainsi par ce procédé pervers on dénie au malade le statut de personne vivante et on installe entre l’aidant et l’aidé une barrière infranchissable. Autre barrière la notion de démence. Quelle perspective que de vivre avec un mort-vivant ou un fou dangereux.

Alors que’à y regarder de prés la maladie peut se résumer à une perte de repères progressive et constante. En pratiquant l’observation bienveillante du malade on apprendra à connaitre la maladie en détail, à l’apprivoiser et à mesurer exactement les changements au fur et à mesure qu’ils se produisent.

Le B de l’ABC d’Alzheimer: L’adaptation aux changements

La maladie neurologique entraîne des changements progressifs et profonds dans la perception que le malade a de son environnement et de lui-même. S’il met le grille-pain dans le frigidaire, c’est facile de le critiquer et de le ridiculiser. Avec quelles conséquences ? Il va se sentir mal, pourra tomber dans la passivité ou l’agressivité, qui sont autant de refus de collaborer avec son entourage.

On met généralement l’accent sur les problèmes de mémoire car on sait très bien les mesurer. Mais ce qui est problématique dans le quotidien, ce n’est pas les pertes de mémoire –  il y a tant de sortes de mémoires- c’est la perte des repères.  Le malade fait confiance aux informations que son cerveau lui donne. Les informations relatives au temps, à l’espace, à l’extérieur et à l’intérieur de lui-même se dégradent en qualité et en quantité : le malade confond des objets plus ou moins semblables, par exemple un couteau et un tournevis, une porte intérieure et la porte extérieure, l’ascenseur et les toilettes, une image dans une glace et une vraie personne. Son cerveau n’arrive plus à faire à toute vitesse les milliers de calculs qui nous permettent de distinguer sans effort tous les objets et les êtres qui nous entourent.

Tout se passe comme si le malade traversait en sens inverse tous les stades d’apprentissages qu’il a expérimenté depuis sa naissance. C’est un processus de déconstruction des compétences qui fait passer, grosso modo, le malade de l’état d’un adulte autonome à celui d’un nourrisson entièrement dépendant. C’est pourquoi un patient Alzheimer n’a jamais tort et il ne faut jamais lui dire non. Il fait probablement de son mieux  pour s’adapter à un environnement qui lui échappe de plus en plus. Sa sensibilité augmente et il ne peut pas  discuter  des reproches qu’on lui fait, car il a perdu la capacité à argumenter. Autrement dit il est vulnérable et sans défense. Une critique pour un malade Alzheimer est un stress ingérable qui peut littéralement faire « bugger » son cerveau. C’est en général ce qui se passe lors des crises.

Dans la maladie, les émotions et la mémoire se trouvent  dissociées. Toutes le hormones qui charrient les émotions sont présentes dans un cerveau que la mémoire a déserté. La sensibilité à tout ce qui se passe dans le présent augmente  au fur et à mesure que la capacité d’abstraction diminue, que la mémoire se désorganise, que les repères s’effacent.  L’avancée de la maladie se traduit par une grande sensibilité: les malades sont de plus en plus ou très heureux ou très malheureux et passent instantanément d’un état à l’autre à la moindre sollicitation.

Tout le monde aime recevoir des compliments. Si on a attaqué le malade sur sa maladie en paroles ou en action, quelquefois un regard et un soupir exaspérés suffisent, on a franchi une ligne jaune. Pour rattraper la situation quelques compliments bien sentis peuvent aider: comme tu as bonne mine, comme tu es bien habillé…

Le C de l’ABC d’Alzheimer: Pratiquer la bonne humeur.

Pour le malade, la perte des repères est anxiogène et il a besoin d’être rassuré sur son état et sur son environnement. Rien n’est plus apaisant ni plus réconfortant que la bonne humeur de l’entourage. La difficulté c’est qu’on ne peut pas tricher sur ses sentiments avec un malade Alzheimer, qui reste un expert en émotions jusque à la fin de sa vie.  On ne peut pas faire semblant de le regarder gentiment. Il ne sera pas dupe d’une politesse de surface ou d’une apparence de respect. Pour pouvoir transmettre de la bonne humeur à un patient, il vaut mieux déborder de bonne humeur.

Comment? C’est une question existentielle à la quelle chacun doit trouver une réponse personnelle. Le premier pas est évidemment d’accepter la maladie pour ce qu’elle est, de lui donner sa place, ni plus ni moins.

Il est important de bien se connaitre et de savoir ce qui peut nous rendre notre bonne humeur quand nous l’avons perdue. Curieusement dans cette recherche de bonne humeur, le malade peut nous aider d’une manière indirecte. Il vit dans le présent. Il vit dans la relation. Ce qui compte pour lui c’est ce qu’il voit maintenant, ce qu’il ressent ici, il n’a plus de passé, plus d’avenir, plus d’idées toutes faites pour s’y accrocher. Il est entièrement là. C’est bien plus facile d’être de bonne humeur si on ne se préoccupe ni du passé ni de l’avenir, si on arrête de s’inquiéter pour des choses qui ne sont pas arrivées, si on arrête de regretter ce qui aurait pu se produire, ailleurs ou un autre jour, si on se met à vivre là où on est, moment après moment. Le présent reste le lieu privilégié du bonheur.

 

 

 

 

 

 

 

Savoir trouver de l’aide pour Alzheimer près de chez soi

Des aides multiples avec des noms bizarres

Dans le quotidien bouleversé provoqué par la maladie, souvent les personnes concernées ne savent pas vers qui se tourner pour  trouver l’aide nécessaire.

Il y a des plus en plus d’initiatives publiques et privées et d’aides disponibles et souvent ces aides ne sont pas utilisées car elles ne sont pas connues du grand public.

Elles se présentent sous forme de sigles, dans lesquels il n’est pas facile de se retrouver.

Il faut savoir que MAMA veut dire = Maladie d’Alzheimer et Maladies Apparentées.

Voici un rapide survol de ce qui existe aujourd’hui : Continue reading

Alzheimer: Accompagner ceux qu’on aime et les autres

Alzheimer: Accompagner ceux qu’on aime et les autres. C’est le titre du nouveau livre de Colette Roumanoff qui parait cette semaine dans la collection LIBRIO. Prix de vente 3€.

Ce livre d’une centaine de pages compte 29 chapitres très courts qui traitent de tous les aspects qui posent problème quand on doit vivre avec cette maladie. Il importe de bien comprendre qu’il s’agit d’abord de recadrer tout ce qu’on croit savoir sur cette maladie qu’on connait si mal.

Il importe de distinguer la connaissance dite scientifique qui progresse sans que cela ait le moindre effet sur la vie quotidienne des malades et la connaissance pratique du terrain qui échappe encore largement au corps médical.

Un malade Alzheimer peut vivre heureux et cela n’est pas un contresens. Si le malade a le sourire, ceux qui l’entourent ou qui en prennent soin vont voir la vie en rose, tout le monde en conviendra. Continue reading