Le A de l’ABC d’Alzheimer: L’observation bienveillante
Pour pouvoir pratiquer l’observation bienveillante il faut arrêter d’avoir peur de la maladie. La peur brouille l’esprit et paralyse l’intelligence. Si on a peur de la maladie on aura peur aussi du malade et on le regardera de travers, en s’attendant au pire. Quand on lutte contre la maladie, le malade devient l’ennemi. Pour arrêter d’avoir peur, il faut se débarrasser des idées négatives qui traînent partout quelquefois mêmes sous forme de « conseils aux aidants. »
Voici deux exemples d’idées néfastes dont il faut se débarrasser au plus vite:
« Lutter contre le déni de la maladie ». L’idée est que le malade doit être conscient de sa maladie pour qu’il puisse être rééduqué, comme s’il devait d’abord avouer un crime ou une honte pour accepter le travail de stimulation souvent imposé par les professionnels, qui cherchent à le faire revenir dans la norme. On demande à l’aidant de rappeler souvent au malade sa maladie au cas où il aurait « des éclairs de lucidité. » Le rappel de sa maladie va rendre le malade triste, le vexer ou le blesser, il sait trop bien qu’il a des difficultés quotidiennes. Ce n’est pas une raison pour appuyer où ça fait mal. Lutter contre le déni de la maladie est une manière efficace d’empoisonner la relation du malade avec son entourage.
« Faire le deuil blanc ». L’aidant doit faire le deuil de l’image de son proche atteint, un travail de deuil véritable, parce que la maladie est vue comme une mort virtuelle, une « mort sans cadavre ». Ainsi par ce procédé pervers on dénie au malade le statut de personne vivante et on installe entre l’aidant et l’aidé une barrière infranchissable. Autre barrière la notion de démence. Quelle perspective que de vivre avec un mort-vivant ou un fou dangereux.
Alors que’à y regarder de prés la maladie peut se résumer à une perte de repères progressive et constante. En pratiquant l’observation bienveillante du malade on apprendra à connaitre la maladie en détail, à l’apprivoiser et à mesurer exactement les changements au fur et à mesure qu’ils se produisent.
Le B de l’ABC d’Alzheimer: L’adaptation aux changements
La maladie neurologique entraîne des changements progressifs et profonds dans la perception que le malade a de son environnement et de lui-même. S’il met le grille-pain dans le frigidaire, c’est facile de le critiquer et de le ridiculiser. Avec quelles conséquences ? Il va se sentir mal, pourra tomber dans la passivité ou l’agressivité, qui sont autant de refus de collaborer avec son entourage.
On met généralement l’accent sur les problèmes de mémoire car on sait très bien les mesurer. Mais ce qui est problématique dans le quotidien, ce n’est pas les pertes de mémoire – il y a tant de sortes de mémoires- c’est la perte des repères. Le malade fait confiance aux informations que son cerveau lui donne. Les informations relatives au temps, à l’espace, à l’extérieur et à l’intérieur de lui-même se dégradent en qualité et en quantité : le malade confond des objets plus ou moins semblables, par exemple un couteau et un tournevis, une porte intérieure et la porte extérieure, l’ascenseur et les toilettes, une image dans une glace et une vraie personne. Son cerveau n’arrive plus à faire à toute vitesse les milliers de calculs qui nous permettent de distinguer sans effort tous les objets et les êtres qui nous entourent.
Tout se passe comme si le malade traversait en sens inverse tous les stades d’apprentissages qu’il a expérimenté depuis sa naissance. C’est un processus de déconstruction des compétences qui fait passer, grosso modo, le malade de l’état d’un adulte autonome à celui d’un nourrisson entièrement dépendant. C’est pourquoi un patient Alzheimer n’a jamais tort et il ne faut jamais lui dire non. Il fait probablement de son mieux pour s’adapter à un environnement qui lui échappe de plus en plus. Sa sensibilité augmente et il ne peut pas discuter des reproches qu’on lui fait, car il a perdu la capacité à argumenter. Autrement dit il est vulnérable et sans défense. Une critique pour un malade Alzheimer est un stress ingérable qui peut littéralement faire « bugger » son cerveau. C’est en général ce qui se passe lors des crises.
Dans la maladie, les émotions et la mémoire se trouvent dissociées. Toutes le hormones qui charrient les émotions sont présentes dans un cerveau que la mémoire a déserté. La sensibilité à tout ce qui se passe dans le présent augmente au fur et à mesure que la capacité d’abstraction diminue, que la mémoire se désorganise, que les repères s’effacent. L’avancée de la maladie se traduit par une grande sensibilité: les malades sont de plus en plus ou très heureux ou très malheureux et passent instantanément d’un état à l’autre à la moindre sollicitation.
Tout le monde aime recevoir des compliments. Si on a attaqué le malade sur sa maladie en paroles ou en action, quelquefois un regard et un soupir exaspérés suffisent, on a franchi une ligne jaune. Pour rattraper la situation quelques compliments bien sentis peuvent aider: comme tu as bonne mine, comme tu es bien habillé…
Le C de l’ABC d’Alzheimer: Pratiquer la bonne humeur.
Pour le malade, la perte des repères est anxiogène et il a besoin d’être rassuré sur son état et sur son environnement. Rien n’est plus apaisant ni plus réconfortant que la bonne humeur de l’entourage. La difficulté c’est qu’on ne peut pas tricher sur ses sentiments avec un malade Alzheimer, qui reste un expert en émotions jusque à la fin de sa vie. On ne peut pas faire semblant de le regarder gentiment. Il ne sera pas dupe d’une politesse de surface ou d’une apparence de respect. Pour pouvoir transmettre de la bonne humeur à un patient, il vaut mieux déborder de bonne humeur.
Comment? C’est une question existentielle à la quelle chacun doit trouver une réponse personnelle. Le premier pas est évidemment d’accepter la maladie pour ce qu’elle est, de lui donner sa place, ni plus ni moins.
Il est important de bien se connaitre et de savoir ce qui peut nous rendre notre bonne humeur quand nous l’avons perdue. Curieusement dans cette recherche de bonne humeur, le malade peut nous aider d’une manière indirecte. Il vit dans le présent. Il vit dans la relation. Ce qui compte pour lui c’est ce qu’il voit maintenant, ce qu’il ressent ici, il n’a plus de passé, plus d’avenir, plus d’idées toutes faites pour s’y accrocher. Il est entièrement là. C’est bien plus facile d’être de bonne humeur si on ne se préoccupe ni du passé ni de l’avenir, si on arrête de s’inquiéter pour des choses qui ne sont pas arrivées, si on arrête de regretter ce qui aurait pu se produire, ailleurs ou un autre jour, si on se met à vivre là où on est, moment après moment. Le présent reste le lieu privilégié du bonheur.