Quand le malade confond un dessein et la réalité
J’aime beaucoup les assiettes à fleurs et j’en ai de très jolies. Un jour j’ai servi des betteraves en entrée et Daniel les a mangées. Ensuite je le vois s’acharner sur le bord de l’assiette avec son couteau et sa fourchette. Il essaye d’attraper la fleur mauve qui sert de décor autour de l’assiette. Il n’y arrive pas et me lance un regard inquiet. Il ne comprend pas ce qui se passe. Je m’empresse de servir la suite, bien au milieu de l’assiette. Quand on arrive à la salade verte, il s’attaque encore au décor de l’assiette. Il y a des milliers de premières fois dans cette maladie évolutive, ce qui fait qu’on ne s’ennuie jamais à observer un patient Alzheimer.
Faire disparaître l’objet de la confusion
Si je lui dis : « ce sont des assiettes à fleurs ! » il ne pourra pas utiliser cette information. Parce que si son cerveau faisait encore la différence, comme c’était le cas hier soir encore, entre l’image des fleurs et la réalité de la nourriture, il n’aurait pas besoin de cette information. Et comme son cerveau n’arrive plus à faire cette différence, lui en parler ou essayer de l’expliquer, c’est le mettre radicalement en échec, le rejeter dans un monde incompréhensible, détruire la confiance qu’il a en lui et qui lui permet de vivre agréablement. Ce serait comme lui parler une langue étrangère et inconnue.
Pour le dessert, je mets des assiettes blanches et à partir de ce jour les assiettes à fleurs ont disparu au fond d’un placard, la couleur des nappes a changé. Une nappe foncée dessine parfaitement le contour des assiettes blanches et fait reculer le moment d’une nouvelle confusion.
Quand l’entourage confond retrait forcé et bulle choisie
Il y a de gens bien intentionnés qui prétendent que les malades Alzheimer vivent dans un monde à eux, qu’il faut les y laisser et ne pas les déranger, qu’on ne peut pas du tout les comprendre. Ils vivraient heureux dans leur bulle et leurs rêves. Il y a effectivement des malades dont le comportement peut prêter à confusion : ils se réfugient dans la passivité, l’apathie, l’absence d’échange et de communication. C’est pour eux le meilleur choix compte tenu des réactions de leur entourage, qui se laissent impressionner par des comportement étranges ou bizarres : « Je ne reconnais plus ma femme, elle qui était si active, elle ne veut plus se lever le matin, elle vit dans sa bulle. Elle ne demande rien, elle ne veut rien. »
Plus la maladie avance plus c’est compliqué de comprendre ce qui se passe dans l’esprit du malade. Compliqué ne veut pas dire impossible. C’est un travail à faire dès le début si on ne veut pas se laisser déborder et confondre une perte de repère avec une décision volontaire. Essayer de résoudre les difficultés concrètes, au fur et à mesure qu’elle se présentent, évite de se retrouver dans un no man’s land tout rempli de bulles mystérieuses.
Mon mari parle de plus en plus mal. Je ne le comprends plus du tout. Je trouve ca tres angoissant. Avez-vous une idee de ce que je pourrais faire pour mieux le comprendre?
Bonjour, Comme vous savez l’angoisse se communique tout aussi vite que la bonne humeur, Si votre mari a du mal à trouver ses mots c’est qu’il est particulièrement stressé. Donc commencez par vous détendre et tout ira mieux. Concentrez vous sur le langage non verbal on communique très bien sans les mots. Quand vous lui posez calmement une question vous devez pouvoir lire sa réponse dan sons attitude corporelle et sur son visage. A un certain stade de la maladie le langage parlé disparait et cela se fait souvent avec des aller et des retours. Quelquefois le malade invente des mots à lui qu’on ne peut pas comprendre et c’est tout à fait normal. cela ne doit pas vous inquiéter ni gâcher la relation qui est entre vous. un petit enfant ne sait pas parler on peut le comprendre en lui donnant de l’attention.
Bonjour Noémie,
Si vous ne comprenez plus votre mari, prenez le simplement comme une évolution normale de la maladie.
Vous pouvez devinez beaucoup de choses grâce à ses réactions comme avec un enfant qui ne sait pas encore parler.
Cela ne devrait pas l’empêche pas de faire ou de participer à des activités. l’angoisse comme la bonne humeur se répand autour de nous
Comme l’angoisse ne nous aide en rien il vaut mieux ni l’accueillir ni lui faire une place dans notre quotidien.
Pensez à sortir et à vous aérer le plus possible.
amitiés Colette
Bonjour Colette et merci pour ce nouveau message.
Mes précédents courriels n’ayant pu vous parvenir, je tente ma chance avec un commentaire !
Après le départ de Roger j’ai, à plusieurs reprises été « agressée » verbalement par des amies proches : j’ai ressent que Roger vivant, même malade, me protégeait. Peut-être ma vacuité m’a-t-elle conduite à des comportements, réflexions ou autres, mal vécus par mes amies ? Fini la recherche de solutions valables pour lui. Tout est rentré dans l’ordre progressivement.
Avez-vous ressenti cette impression de ne plus être protégée après le départ de Daniel ?
Bien amicalement.
Nicole
Bonjour Colette. Comme je suis contente de retrouver votre blog. Longtemps j’espérais vos publications qui m’ont aidées à tenir debout du temps oû Daniel était encore là. Je continue , je n’ai pas le choix mais comme l’évolution a été rapide avec ce confinement et l’arrêt de l’accueil de jour qui vient de reprendre depuis lundi dernier seulement, mais que mon mari ne peut pas encore intégrer car il faut un test Covid dont les résultats se font attendre!!!.
Pour les assiettes j’en ai acheté des rouge car il me semble que c’est vous qui aviez parler de la perception des couleurs comme pour les petits enfants qui réagissent aux couleurs vives.
oui, les assiettes rouges sont une solution mise en place par un Ephad de Vendée et je leur avais consacrées un article de ce blog. L’idée générale est d’éviter à tout prix la confusion entre deux objets qui se ressemblent et n’ont pas le même usage. Les assiettes rouges ne doivent pas être posées sur une table rouge. Quand elles n’ont plus d’effet apaisant sur le comportement du malade, il faut inventer autre chose, essayer différentes choses jusqu’à en trouver une qui marche.