Suivre ses envies, un bonheur
Nous sommes dépendants de notre rythme biologique, les patients aussi. Et le refus de soin est un exemple patent de ce non respect du rythme biologique du patient.
Toutes les activités de la journée s’inscrivent dans un temps où les envies et les besoins surgissent. On n’est pas toujours en mesure de respecter son propre rythme: sortir, prendre un bain, faire la sieste, boire, se nourrir au moment où on en ressent l’envie et le besoin. Quand on le fait, on se sent heureux évidemment.
Quelle heure est-il?
Avec la maladie le rythme biologique change insensiblement. Je comprends mieux aujourd’hui ce qui s’est passé en Août dernier, quand Daniel s’est transformé en tigre furieux sous la douche. (cf Ingratitude protestations menaces) Il avait certes le souvenir d’un shampoing qui piquait les yeux mais c’est comme si je l’avais poussé sous la douche à 2 heures du matin après l’avoir tiré à son lit. La pendule marquait 11 heures. Mais pour lui c’était quelle heure? Sa réaction a été violente, c’était une réaction saine, une preuve de vitalité que n’aurait pas pu avoir un malade sous neuroleptique, sédaté par avance et par précaution.
La qualité d’éveil
Depuis cet épisode, je suis devenue très attentive à ce que j’appelle la qualité d’éveil de Daniel. Il est levé, il est debout, il vient de prendre son petit déjeuner. Peut-il se laver les dents maintenant? Rien n’est moins sur. Je tente un aller vers la salle de bains. Je lui mets la brosse à dent avec le dentifrice dans la main droite. Il la prend et cherche à nettoyer le lavabo. Je tente un: « C’est pour se laver les dents… » L’expression de son visage semble dire: « Qu’est ce que tu me racontes? C’est n’importe quoi! ». Il faudra revenir plus tard. Le petit déjeuner l’a épuisé, il a besoin de repos et de sommeil. Quelle heure est-il pour lui? Je lui propose de se recoucher. S’il dit « oui » je le remets au lit avec sa robe de chambre et ses chaussons car c’est inutile de chercher à lui enlever quoique ce soit, et il s’endort souvent pour plus d’une heure. S’il est moins fatigué, il va sur son fauteuil et somnole. Il peut se réveiller brusquement, chercher les toilettes, y aller ou non, et retourner s’asseoir. Il lui arrive souvent maintenant de prendre le repas de midi en robe de chambre. La toilette et habillage arrivent après, quand il est bien réveillé et tout se passe alors à merveille.
Le refus de soin: une expérience courante
Le refus de soin ne se rencontre pas au début de la pathologie, tant que le patient n’a pas besoin d ‘aide pour faire sa toilette, tant qu’il suffit de lui indiquer le lieu, de lui préparer les serviettes, de régler la température de l’eau. Ce refus de soin est choquant si on n’en comprend pas les raisons: « On veut l’aider à faire sa toilette et lui se fâche: la maladie l’a rendu méchant et stupide, il ne se rend pas compte que c’est pour son bien! »
Quand la pathologie est avancée le corps et les vêtements deviennent un territoire sacré dont il faut approcher avec précaution, la toilette devient d’un rituel. Il y a un ordre à respecter, c’est un opéra avec son ouverture ses trois actes et son final, certainement pas un processus mécanique et expéditif.
Si on s’introduit sans permission dans ce territoire sacré et de plus sans respecter le moment précis où un vague désir de se laver surgit, on risque un châtiment radical, une démonstration d’agressivité effrayante, qui a pour but faire disparaître ce qui est vécu comme une menace d’anéantissement.
Une réaction de défense!
Cette réaction de défense prend tout le corps, fait dresser le cheveux, sortir les yeux de leurs orbites, lever les poings fermés. Le malade ressemble au lion qui rugit, à un rhinocéros prêt à charger. Le corps médical a baptisé cette réaction « agressivité » et décrété que cela était un symptôme de la maladie d’Alzheimer.
C’est pourquoi les médecins généralistes, les gériatres et même les neurologues pensent Alzheimer = agressivité = troubles du comportements = neuroleptiques pour contrôler ou prévenir cette agressivité par définition « incontrôlable ».
Vous avez dit démence?
L’ambiguïté, soi-disant involontaire, du terme de « démence » si utilisé dans la littérature médicale prend toute sa signification, les soignants comme le public pensent que les patients alzheimer sont déments au sens ordinaire du mot.
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Bonjour,
Ma maman est atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis plusieurs années. Elle a toujours été très indépendante. Elle a donc beaucoup de difficultés à accepter de devoir parfois faire des choses qu’elle n’a pas envie de faire. Elle vit encore chez elle mais n’est plus du tout autonome. Elle a perdu la plupart de ses repères. Nous alternons nos visites entre ma soeur, une infirmière et moi-même, afin de lui préparer à manger, faire sa toilette, aller promener avec elle et son chien, et à l’activer le plus possible.
Jusqu’ici cela fonctionnait. Elle a toujours eu quelques réticences lorsque l’infirmière voulait lui faire sa toilette ou parfois pour la promenade mais rien de grave, en tout cas avec les infirmières qu’elle a bien voulu que l’on garde, car elle en a rejeté plusieurs.
Le problème est que depuis peu, elle refuse que les infirmières lui fassent sa toilette et elles ont bcp de mal même à la convaincre de la changer, or elle souffre d’incontinence.
Elle a même fait preuve de bcp d’agressivité vis à vis d’une des infirmières. Nous ne savons pas vraiment comment résoudre ce problème. Nous voudrions à tout prix éviter de devoir la placer mais si elle refuse les soins à domicile, je ne sais pas si nous y parviendrons. Nous travaillons plein temps ma soeur et moi et ne pouvons pas tout assumer à deux. Il nous faut une aide infirmière.
Que nous conseilleriez-vous de faire pour débloquer cette situation? Elle a l’air contrarié mais n’a plus les mots pour en expliquer la raison (mais cela tourne clairement principalement autour de sa toilette) et pour nous la situation devient très difficile à gérer.
Merci d’avance pour votre réponse.
Sophie
Bonjour,
Coïncidence, je me trouve à répondre à ce commentaire, juste au-dessus de celui que j’avais fait en novembre dernier … J’y disais que mon mari ne refusait pas la toilette ! Nous n’avions pas d’intervenant extérieur. Mais à cette époque, il avait juste besoin d’aide. Peu après, il a commencé à beaucoup s’agiter malgré les précautions que je prenais, suivant les conseils de Colette. Lors d’un séjour avec lui dans un centre de répit, j’ai voulu essayer de commencer à faire intervenir les soignants mais malgré leur patience il ne l’a pas accepté. Il est, hélas, tombé (justement au moment de la toilette) et depuis, il ne marche plus et il a fallu s’organiser. Nous avions un assistant de vie qui venait assurer des gardes et qu’il avait fini par accepter ; il a pris le relais pour la toilette et, comme mon mari s’était habitué à sa présence, çà a été moins difficile. Désormais, ses collègues interviennent à tour de rôle, avec plus ou moins de succès : parfois une agitation extrême, d’autres fois, l’acceptation et la détente. Nous avons planifié et modifié l’horaire des toilettes pour coïncider avec les moments de la journée où il semble plus réceptif. A noter que lorsque parfois je fais la toilette seule, désormais il l’accepte très bien et même me facilite la tâche ! Je doute que mon commentaire ne vous aide beaucoup, sauf peut-être pour tenter d’essayer un changement d’horaire, ce que vous avez sans doute déjà fait. Mon mari est comme votre maman, très indépendant. Si quelqu’un d’autre a des idées, je suis preneur car les refus sont épuisants et ce qu’il y a de plus difficile à gérer.
Bonjour,
Depuis quelques semaines, mon mari est dans une période de refus en général, refus d’aide, et surtout refus d’aide pour aller aux WC …
Je gère assez bien un refus « ordinaire », en faisant, comme dit plus haut « ce qu’il veut, quand il veut », par exemple, ne pas vouloir sortir, au contraire sortir même si non prévu, ne plus aimer tel ou tel plat, garder son blouson et sa casquette à la maison … pas grave …
Je gère un peu moins bien le refus de prendre un médicament.
Mais quand il a envie d’aller aux toilettes, ne sait plus où c’est (malgré la porte ouverte et la lumière), ne sait plus comment s’y prendre et qu’il ne veut pas de mon aide, comment faire ?
A noter qu’il n’y a qu’exceptionnellement un refus de faire sa toilette, douche, et même shampoing qui a posé problème longtemps, vos conseils de ce billet m’ont bien servi.
Bonjour,
Mon mari diagnostiqué depuis 6 ans, ne veut plus se lever ni s’habiller depuis quelques jours. Il mange également très très peu. Mais vu qu’il reste couché toute la journée c’est normal qu’il n’est pas faim. Je balance entre le laisser tranquille, et le forcer. J’essaye d’y aller le plus doucement possible. La famille me dit appelle un docteur. Mais qu’est ce qu’il va pouvoir faire ? Merci pour votre blog.
Au bout de cinq jours, j’ai finalement appelé le docteur,
Je n’osais pas le faire car pas de fièvre, pas de plainte, pas de diarrhée, aucun signe visible. Juste un désir de sa part de rester coucher et de dormir.
Après examen il s’agirait de gaz bloqués et a donné un traitement.
Je me permets de mettre votre réponse sur le blog, car cela peut servir à d’autres personnes
Franchement, sans vous la vie serai un enfer.
Vous nous apprenez à appréhender le quotidien d’une autre manière.
Merci merci merci
Le 21 févr. 2018 à 07:22, Colette Roumanoff a écrit :
Bonjour,
Quand il y a un changement de comportement il faut se poser des questions avant d’attribuer la cause à une aggravation de la maladie.
Savez vous si votre mari a été contrarié il y a quelques jours?
Un docteur pourra l’examiner et vérifier sa tension trop faible ou trop élevée, l’état de ses poumons, de son cœur, des intestins, éventuellement prescrire une analyse.
Pour ce qui est de la nourriture, les goûts changent et l’idée est de proposer des desserts sucrés ou des boissons comme du café avec ou sans lait, du chocolat chaud etc, du sirop de grenadine, du jus d’orange etc… L’important est de maintenir un bon degré d’hydratation.
Vous pouvez aussi poser la question: de quoi aurais tu besoin? qu’est ce qui te ferait plaisir? et attendez la réponse.
Si vous voulez que les choses se passent bien, tenez vous en à cette formule simple: ne faites pas à autrui ce que vous n’aimeriez pas qu’on vous fasse. Proposer et laisser l’autre décider.
bien cordialement
Colette Roumanoff
theatre.roumanoff.com
http://www.laconfusionite.com
http://www.bienvivreavecalzheimer.com
Bonjour,
J’ai une question concernant l’hygiène de ma mère. Elle ne veut pas que les infirmières lui fassent la toilette, elle ne s’habille plus correctement. Il y a des jours où elle met deux culottes l’une sur l’autre.
Elle urine souvent la nuit dans le lit et pas moyen de lui faire mettre une serviette.
Comment faire ?
Merci pour votre réponse.
La toilette devient l’élément le plus délicat à gérer. Dans la mesure où l’univers disparait autour de la personne qui a perdu ses repères, il importe d’introduire dans sa vie des activités agréables, des nourritures plaisantes, de la bonne humeur, du rire, des objets de jeu (peluche ou ballon) qui vont lui donner plaisir et confiance. c’est tout un ensemble qu’il faut revoir. aucun raisonnement ni réprimande n’aidera. L’ état de son cerveau fait qu’elle voit que son lit est mouillé mais elle ne sait pas pourquoi. Pour que la protection soit acceptée dire par exemple que c’est une culotte qui se jette, que ca l’aidera à mieux dormir… Prendre tout le temps nécessaire et gardez le cap vers une relation de confiance. Plus la confiance est grande plus tous les gestes du quotidien devienne faciles
Je viens de découvrir ce blog grâce à ma belle-mère, qui m’a dit hier qu’en lisant votre livre, elle pensait à ce que je vis avec ma mère à chaque page ! J’ai « rapatrié » mes parents de Vendée il y aura bientôt 5 ans, pour pouvoir les accompagner dans la vie de tous les jours, ma mère ayant Alzheimer depuis une douzaine d’années et mon père ne voyant presque plus, et étant épuisé par cette situation qu’il ne savait pas gérer. J’ai lu un peu plus haut dans un commentaire que c’est une « aventure », et c’est tout à fait ça… On fait face chaque jour à une situation délicate, et on essaie de comprendre ce qui est le meilleur et le moins perturbant pour le malade, et ça marche ! Je ne remercierai jamais assez mon généraliste, qui a parfaitement compris et accepté mon souhait de ne pas traumatiser ma mère pour lui faire passer des batteries de tests et d’examens qu’elle ressentirait comme très violents, le personnel médical ayant décidé une bonne fois pour toute qu’il maîtrisait la maladie et que l’aidant le plus proche n’avait pas à être présent ! J’aurais tant de choses à raconter… Merci infiniment pour tout ce que j’ai lu sur le site, je vais commander votre livre, où je suis sure de me reconnaître dans bien des situations ! A bientôt, je pense.
Bonjour,
J’espère que vous vous souvenez de moi (jeune architecte bordelaise travaillant sur la MA…), je souhaiterai reprendre contact avec vous notamment sur la construction d’un village Alzheimer dans les Landes qui reprend cette notion de rythme et de mode de vie adapté à chaque être humain. Je pense que vous avez beaucoup à apprendre à tous ceux impliqués dans ce genre de projet. Actuellement, les personnes atteintes de la MA sont encore trop perçus comme des patients, alors que la MA n’éclipsera jamais leur histoire de vie, leur sensibilité, leur personnalité…
Oui, bien sur,il y a beaucoup d’aménagements que l’on peut promouvoir pour faciliter la vie quotidienne, à commencer par la toilette qui reste le moment le plus délicat: carrelage antidérapant dans la salle de bains et les toilettes, douche à l’italienne avec thermostat bloqué, possibilité de couper l’eau à l’extérieur de la douche, chauffe serviette et peignoir, surtout pas de porte coulissante mais des portes qui s’ouvrent en grand etc… etc..
Les conditions sont pour moi d’ordre affectif. Mon mari ne peut rester seul longtemps : cela altère son moral.
Je ne sais pas encore comment l’accompagnement se fera quand l’incontinence par exemple sera là.
Je gère un jour à la fois, j’ai appris malgré moi à vivre au présent.
Je pense que rester à la maison doit pouvoir durer longtemps, je l’espère.
Un grand bonjour à tous ceux qui vivent cette aventure, car c’en est une.
Il y a beaucoup de stades dans la maladie. Il y a un moment où le malade ne peut plus rester seul. Il faut donc qu’il y ait quelqu’un en permanence près de lui, ce qui demande beaucoup d’organisation.
Si on a appris à gérer les problèmes un par un et au fur et à mesure, l’incontinence peut aussi se gérer. Il faut juste admettre que le malade sait qu’il est mouillé mais il ne sait pas pourquoi ni comment ça lui arrive. Pour lui c’est de l’eau qui coule et il en faut pas le contrarier à ce sujet. C’est une règle d’or. Il y a moment où il ne sait plus trouver les toilettes dans la maison et quand on l’accompagne il ne sait plus tout à fait comment s’en servir. Il pourra retrouver les gestes nécessaires à condition que la personne soit calme et le regarde d’un air tout à fait normal.
Concernant les repérages j’ai collé des hologrammes sur les portes pour éviter la confusion.
J’ai choisi le manekenpis pour les toilettes, c’est plus amusant.
Sur le frigidaire, une bière, de l’eau….
Ça prouve donc l’inadéquation des structures d’accueil pour personnes atteintes d’alzheimer… refus du rythme biologique propre, surstimulation, enfermement… tout ça dans un but de profit financier…
C’est toute notre société qui refuse ces malades, car ils sont dépendants et sensibles. Ils n’ont aucun moyen de faire entendre leur voix. Les gens qui travaillent dans les structures d’accueil font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’ils ont. Une prise en charge personnalisée ne peut avoir lieu qu’au domicile mais cela demande de réunir un certain nombre de conditions surtout à partir du moment où la personne malade ne peut plus rester seule et devient incontinente.
Bonjour,
Mon mari ne manifeste aucune agressivité, mais je fais ce qu’il veut, au moment où il veut.
Certains me reprochent de trop en faire, mais cela nous permet de vivre presque paisiblement.
Ma mère qui aujourd’hui décédée, était atteinte de la maladie d’alzheimer et je me souviens qu’elle ne protestait jamais, qu’elle avait toujours le sourire aux lèvres et que toutes les personnes qui venaient la voir étaient accueillies avec chaleur. Elle n’avait aucune agressivité, et d’ailleurs durant toute sa vie avant la maladie, son caractère était fait d’abnégation et de douceur.
Aujourd’hui , mon épouse atteinte elle aussi accepte son état malgré quelques difficultés qui sont de plus en plus fréquentes .
Elle vient de se rendre compte qu’elle ne parvenait plus à boutonner son chemisier et elle a refusé que je l’aide. Je n’ai pas insisté et « l’incident » n’a pas duré .
Daniel Gallet
Cela montre bien que le parcours du malade peut se passer très bien, à conditions que son mode de vie lui corresponde et que son entourage soit compréhensif. Ainsi le malade peut oublier sa maladie et vivre heureux.
Bravo.Vous avez raison du moment que cela marche et que vous arrivez à vivre paisiblement. C’est le but et pour cela tous les moyens sont bons.
Les idées toutes faites ne servent à rien d’autre qu’à créer du désordre. Ce qui compte c’est de voir les choses exactement comme elles sont et de répondre au jour le jour aux situations qui se présentent.
Merci beaucoup, votre blog m’intéresse vraiment et le dimanche matin, de notre chambre, nous lisons les commentaires ensemble.
Bonne journée.
Avec toute ma sympathie.
Micheline