Alzheimer un univers comme un autre.

Mon premier livre date de 2014, mes premier ateliers-theatre de 2010. Plus je suis en contact avec les aidants et les soignants, concernés par les maladies neuro-évolutives, (c’est déjà mieux que neuro-dégénératives) plus il me parait évident que ces maladies ne constituent pas un monde à part, séparé de tout le reste. Chacun va y trouver ce qu’il cherche: des raisons d’espérer ou des raisons de désespérer.

Je viens de terminer le livre de Aude Ceccarelli: « Sans boussole. Traversée en Alzheimerland ». Ce livre bien écrit dresse le portrait d’un homme attachant, le père de la narratrice. Si on cherche des raisons de désespérer on en trouvera beaucoup, avec une description exacte de toutes les situations provoquées par le handicap cognitif, surtout quand il n’est pas assumé par l’entourage.

Je prendrai un seul exemple. Aude a lu le livre de Jean Pierre Polydor. « Alzheimer mode d’emploi. » C’est un livre que j’ai recommandé à mes stagiaires dès qu’il est paru, parce qu’on y parle des neurones miroirs et que la relation au malade est présentée comme du théâtre. Si l’on comprend l’importance des neurones miroirs, la relation au malade se simplifie énormément. L’inquiétude engendre l’inquiétude, le découragement engendre le découragement, et à l’inverse l’apaisement engendre l’apaisement, la bonne humeur engendre la bonne humeur. Il ne suffit pas de comprendre intellectuellement le phénomène, il faut le vivre et répéter l’expérience dans un grand nombre de situations. Ainsi on trouvera facilement une nouvelle boussole. Aude a retenu de ce livre qu’elle « était une statistique, qu’elle avait 50% de chance de plus de contracter une maladie chronique ». Elle a été victime d’une statistique bien connue mais fausse.

Une statistique pernicieuse et fausse

Tous les professionnels de santé ont parfaitement assimilé la statistique sur la surmortalité des aidants et la récitent par cœur : « Un tiers des aidants de plus de 60 ans meurent avant leur malade. »

Tous ceux et celles qui consultent, accompagné d’un ou d’une patiente Alzheimer, sont soumis à des mises en garde : «Vous risquez l’épuisement, vous risquez de tomber malade très gravement, vous mettez votre vie en danger. » Pendant la durée de cet échange, le malade, considéré comme dépourvu de sensibilité et d’intelligence, souffre en silence. Ainsi, on continue à faire, jour après jour, de la maladie d’Alzheimer la peste des temps modernes.

D’où vient cette statistique ? D’un rapport de la Haute Autorité de Santé daté de février 2010, document de 28 pages qu’il est conseillé de lire plusieurs fois pour en saisir toute la subtilité. Cette recommandation vient d’un désir de chiffrer l’épuisement des aidants, qui est une des grandes obsessions des associations.

La formule originale  se trouve dans l’annexe 1 du plan Alzheimer et elle a donc presque force de loi : « Il existe un risque de surmortalité de plus de 60% des aidants dans les 3 années qui suivent le début de la maladie de leur proche. »

Le paragraphe 1.10 donne le principe général de la gradation des statistiques : A, B ou C, comme les notes que l’on donne à l’école. Aucune des statistiques retenues ne s’est vue attribuée de note.

« En l’absence d’études, les recommandations sont fondées sur un accord professionnel. L’absence de gradation ne signifie pas que les recommandations ne sont pas pertinentes ni utiles ».

Si on remet la phrase à l’endroit : En l’absence d’études fiables, les recommandations sont fondées sur l’opinion des professionnels. Elles pourraient être pertinente et utiles.

Au lieu d’aider les aidant cette statistique fausse, puisque non vérifiée scientifiquement de l’aveu même de la HAS, fait passer un message effrayant : Aider un patient Alzheimer c’est prendre un risque mortel. 

Fumer ou boire, ce serait meilleur pour la santé ! C’est moi qui l’ajoute.

6 réflexions sur « Alzheimer un univers comme un autre. »

  1. Alexandra Jeze

    Atterrée par les jugements autour de cette pathologie…. Merci a Colette Roumanoff pour son livre et son regard. Dommage, suis peu dispo pour participer aux ateliers qu’elle anime en mai. La fille d’une patiente du Dr Bénédicte Defontaine. Melle Jeze

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  2. Gogniat Claude

    Merci à Colette Roumanoff pour son livre « Le bonheur plus fort que l’oubli », que j’ai lu avec intérêt.
    Cependant, je n’arrive plus à trouver de bonheur avec ma femme, atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis 6 ans, actuellement âgée de 73 ans. Malgré les médicaments (Quétiapine), elle est hyperactive, parfois agressive, refuse avec véhémence toute aide extérieure et me sollicite constamment. Ma vie donc est faite de frustrations: plus de cinéma, plus de théâtre, plus de concert, plus de lecture…et plus d’amis (eh oui!). Faire de la validation et utiliser les neurones miroirs de 6h30 jusqu’à 21h30: c’est épuisant. Bref le purgatoire!
    Belle journée à vous

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    1. coletteroumanoff Auteur de l’article

      Bonjour,
      Vous n’arrivez plus à trouver le bonheur avec votre femme, donc il semble que vous y êtes arrivé. Si c’est le cas, il faudrait savoir ce qui a provoqué ce changement d’humeur. Le médicament dont vous parlez n’est pas un anti-alzheimer, mais un médicament psychiatrique difficile à doser parce que très puissant. Ce médicament a-t-il eu des effets bénéfiques ou non ? Vous seul pouvez le déterminer par une observation attentive et retourner consulter le prescripteur si nécessaire.
      Ensuite il faut examiner le mode d’emploi de vos journées pour vous et pour elle.
      Y a-t-il des choses que vous faîtes et qu’elle fait avec plaisir ? Ensemble ou séparément ?
      Que se passe-t-il si vous lui proposez une sortie au cinéma ? Un drame ou un bon moment ?
      D’après ce que vous écrivez il semble qu’elle dorme de 21h30 à 6h30. Est-ce que vous dormez bien vous aussi ?
      Pour lui faire accepter la présence d’une autre personne, il ne faut parler ni d’aide ni de maladie, mais de compagnie. Si elle aime se promener par exemple quelqu’un d’autre que vous peut l’emmener en promenade. Il faut partir d’un plaisir si petit soit-il pour le faire grandir. Votre femme semble avoir beaucoup d’énergie inutilisée. Peut-elle pratiquer un sport, faire de la course à pied avec vous ou avec un coach sportif ou jouer au Ping Pong ?
      Un malade qui perd ses repères ne peut pas gérer ce qui est abstrait, mais il peut gérer ce qui est physique et être à l’aise dans une activité sportive, exercée dans une ambiance bienveillante.
      Quand un aidant est frustré son malade l’est toujours davantage. Quelqu’un de frustré devient forcément agressif et personne ne peut échapper à cette loi de la nature humaine. Si la situation vous frustre, vous devez malgré tous vos efforts vous montrer agressif ou énervé sans vous en apercevoir, ce qui ne doit pas rassurer votre femme sur son sort.
      Vous avez le choix ou d’inverser la spirale de la frustration réciproque ou de jeter l’éponge.
      Si on dépasse ses limites, on se met en danger et on met les autres en danger.
      Le purgatoire fait partie des mots qui noircissent ce qu’on vit. Est-ce que cela vous éclaire d’en faire une référence quotidienne ?

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  3. DUTERTRE

    Bonjour, je suis agacée quand des amis me disent que je m’épuise parce que je vis avec mon mari qui a été diagnostiqué Alzheimer il y a environ 6 ans. Non, je n’ai pas l’impression de m’épuiser. Le soir, je suis souvent très fatiguée, mais je dors bien et le lendemain, c’est reparti ! J’aime vivre avec mon mari qui est paisible et gentil, et il n’est pas insensible, au contraire. Il y a quelques jours, je me suis énervée et il m’a dit : tu n’es plus heureuse de vivre avec moi ? Et j’ai vu qu’il avait les larmes aux yeux. J’étais émue et je l’ai rassuré, mais je me suis dit que j’avais franchi la ligne jaune dont parle Colette Roumanoff.
    Quant aux neurones miroirs, je les expérimente par exemple pour que mon mari accepte de boire de l’eau : j’apporte 2 verres et nous buvons ensemble.
    Merci pour les témoignages d’Yves et de Georges et merci à Colette de nous permettre de partager nos expériences souvent pleines d’espérance. Nous sommes des vivants, malades et aidants.

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  4. Yves

    C’est vrai, le regard qu’on porte sur la relation aidant-aidé la conditionne. Quand on devient aidant, on a moins besoin de statistiques sur les risques qu’on court que d’un accompagnement pour inventer un nouveau partenariat entre les deux. Si l’on martèle que l’aidant va s’épuiser et tomber malade, on ne crée pas les meilleures conditions pour qu’il trouve sa place et son rôle dans les nouvelles conditions qui s’imposent ainsi. Oui, il y a des mots et des affirmations qui plombent, qui empoisonnent l’esprit, mais on peut aussi s’attacher à entreprendre toutes sortes de choses qui facilitent la relation. Les livres de Colette foisonnent d’idées et une observation attentive en amènera d’autres. Un dispositif qui marche, une activité qui plait, une bonne formulation, c’est gagnant-gagnant ! Grâce aux neurones miroirs et grâce à un état d’esprit différent dans une relation certes asymétrique, mais est une réalité entre deux personnes qui se respectent et qui s’aiment. On parle ici d’Alzheimer, mais j’ai trouvé que c’était pareil pour la DFT ou la DCL et sans doute d’autres affections neuro-évolutives.

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  5. Georges Martel

    Bonjour, Je suis aidant depuis 8Ans , je suis en paix avec la Vie et je vie en paix avec ma femme car comme vous dite les neurones miroirs fonctionne car je vie en paix avec Elle et cela depuis les 5 dernières Années , et je vous le dit quel bonheur de pouvoir le vivre , Merci a la Vie !
    Bonne journée a Vous et Merci pour tout !
    Georges

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