1-Le permis à point
Quand on franchit la ligne jaune, c’est-à-dire que l’on a manqué au code de conduite du « savoir bien vivre avec Alzheimer », soit en faisant des reproches ou en mettant en échec le patient, il faut rattraper les points perdus sans retard. Comment ? En le replaçant dans la position de quelqu’un qui donne, de quelqu’un qui fait, de quelqu’un qui sait : « Aurais-tu la gentillesse de faire cela pour moi ? » On peut aussi offrir quelque chose, mais dans mon expérience c’est demander un service ou plusieurs, qui est le plus efficace pour rétablir l’équilibre d ‘une relation, où l’autre a brusquement et cruellement souffert de sa dépendance.
2- La carte et le territoire
Un objet « étranger » dans un environnement familier est source de perturbation immédiate. La carte est effacée, mais la mémoire du territoire demeure. Avec le territoire, il y a la possession du territoire et l’agression sur le territoire. Le respect du territoire est une constante à ne jamais sous-estimer. Il y a un lien entre l’identité et le territoire, celui qui possède un territoire se sent exister en tant que personne à part entière. Le territoire peut être un espace matériel, physique ou sonore ou expressif.
3- La routine sportive
Une routine est une succession des pensées et de comportements effectués durant la préparation d’une performance sportive. Ces processus utilisé par les grands sportifs pour diminuer le stress d’une compétition peuvent être adaptés à la vie quotidienne du patient. L’installation d’un mode de vie régulier avec des routines successives donne une familiarité au quotidien. Quand a contrario les routines sont bousculées par une maladie ou la présence d’autres personnes, il faut essayer de les rétablir dès que possible.
4- L’omniprésence de l’inconscient.
Il ne faut pas oublier que l’inconscient fonctionne en permanence, comme instrument de stockage des informations, et donc rien ne passe d’une certaine façon inaperçu. Rien n’est en réalité oublié, en tout cas toutes les informations qui ont un contenu affectif. Le patient est particulièrement sensible, même s’il ne l’exprime en aucune façon, à l’état émotionnel d’une personne avec laquelle il est en contact et à la manière dont cette personne le considère. Il n’oubliera pas ni qui a franchi la ligne jaune, ni qui lui a témoigné une considération sincère.
5- La vitesse de croisière.
Elle est atteinte quand il y a suffisamment d’activités satisfaisantes, créatrices de sens et de bien-être pour le patient. Accomplies avec plaisir ces activités remettent le patient dans un état de fluidité où il ne ressent plus, pendant un temps donné, son handicap concernant l’espace, le temps, la complexité de l’environnement et la perte de mémoire. La vitesse de croisière est celle où on a en quelque sorte accumulé des réserves de bien-être, qui permettent d’amortir les stress inattendus de la vie quotidienne.
6- La politique de la disparition.
Comme ce qui fait problème, c’est la confusion entre deux choses, la solution consiste à faire disparaître provisoirement ou définitivement l’objet qui pose souci.
La confusion entre deux paires de chaussures ou entre les chaussures et les chaussons. Seul l’objet utile est visible, l’autre est caché.
Le patient met dans le tiroir de table de nuit la lampe de poche pour se lever dans le noir et donc il ne la retrouve pas. On enlève le tiroir ainsi la lampe sur la table de nuit reste en évidence, surtout si on l’a entouré d’un bandeau phosphorescent.
Bonsoir,
Je suis bien contente pour toutes celles et tous ceux qui peuvent « bien vivre avec la maladie d’alzheimer » mais ils sont à ma connaissance pas « légion ».
On pourrait aussi dire » vivre heureux avec un cancer ou telle ou telle maladie très invalidante…
Tout dépend de la sévérité de cette maladie, si elle est associée ou non à d’autres pathologies,
des ressources humaines et financières de la personne et de son entourage etc…
Ce qui me navre et me fait mal c’est que beaucoup trop souvent on fait un amalgame de situations
complètement différentes.
Pour avoir accompagné ma mère à domicile puis en établissement, il me semble que chaque situation est particulière et qu’on ne peut en faire une généralité
C’est justement contre les amalgames et les généralisations qui sont autant de pièges tendus aux aidants et aux patients que je me révolte. Les medias (voir le dossier du nouvel obs) et souvent le monde médical relaie la même désinformation : « accompagner un patient c’est la descente aux enfers ». Un généraliste qui venait ausculter mon genou, dès que je l’informe que mon mari a la maladie d’Alzheimer, se croit autorisé à me donner des conseils pernicieux : « Donnez-lui du Lexomil tous les soirs comme cela vous serez tranquille et il y a une maison pas loin où vous pourriez l’envoyer, dépêchez-vous, il y a une liste d’attente ». Le Lexomil est bien trop souvent prescrit à tort par les généralistes (selon un article récent paru dans Agevillage). Ces médecins semblent ignorer que ce médicament accroit la confusion et ne résout pas les problèmes qui déclenchent les angoisses du patient. Peut-être pensent-ils qu’un peu plus de confusion ne changera pas grand-chose à la vie d’un patient irrécupérable.
Vivre heureux en général n’est non plus si facile même si on est en bonne santé, avec ou sans tranquillisant, parce que cela demande un état d’harmonie entre soi et son environnement et que cet état quand on arrive à l’atteindre n’est jamais acquis une fois pour toutes.
Ce que j’écris est d’ordre pratique. Il faut comprendre comment fonctionne la maladie dans la tête et le cœur du patient, si on veut pouvoir anticiper toutes sortes de situations qui peuvent rapidement devenir déplaisantes pour tout le monde.
Cette connaissance du vécu du patient et de ses besoins réels, qui augmentent au fur et à mesure que la maladie avance, c’est l’objet de notre blog.
Pour résumer, un patient Alzheimer a besoin avant tout de respect et de considération. Il a besoin que les gens lui parlent normalement. Et cela ce n’est pas une question d’argent.
Un patient fonctionne avec les informations que son cerveau lui donne. Un stress venu d’un inconfort physique ou relationnel peut provoquer un court-circuit, un bug. Et là bien entendu aucun discours raisonnable ne fera l’affaire car le cerveau du patient est saturé.
La caractéristique de cette pathologie, qui la distingue de toutes les autres, c’est que le patient est incroyablement sensible à l’opinion que les autres ont de lui.
Nous le sommes tous, mais eux et elles ne peuvent pas se défendre contre le stress, ne peuvent ni argumenter, ni négocier, ni proposer quoi que ce soit. Quand leur cerveau bugge (cf l’article : « Qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas »), ils et elles sont comme des nourrissons égarés dans un corps d’adulte avec des besoins d’adulte, des désirs d’adulte.
Réparer de tels courts-circuits demande du cran et de l’imagination. La récompense c’est le sourire qui revient avec la bonne humeur.