Les patients Alzheimer développent une sensibilité d’autant plus grande (au chaud, au froid, au courants d’air, à n’importe quelle forme d’inconfort) qu’ils sont progressivement dans l’incapacité d’y remédier.
Une sensibilité grandissante
Il ne saura pas comment se découvrir s’il a chaud ou se couvrir s’il a froid. Plus la maladie avance plus la difficulté à s’adapter aux circonstances physiques les plus ordinaires, mettre ou enlever un pull, grandit et plus la sensibilité à l’inconfort se développe. D’autant qu’enlever un vêtement est spécialement difficile pour un patient: comme tout disparaît autour de lui à longueur de journée il a une relation quasi affective avec le vêtement qu’il porte et qui lui parait un objet proche et précieux. Pour réussir à ôter un vêtement même s’il fait trop chaud ou s’il doit aller sous la douche, il doit se sentir en complète sécurité affective avec la personne qui lui propose de se séparer du vêtement. La marche arrière se révèle souvent utile dans ces circonstances (cf: L’importance de la marche arrière).
Il n’est pas exagéré de dire que les patients Alzheimer sont presque toujours inconfortables physiquement, d’autant qu’ils ne peuvent pas imaginer comment mettre fin à l’inconfort qu’ils éprouvent. C’est pourquoi le signal de l’absence de bonne humeur doit être pris au sérieux. Daniel ce matin, au petit déjeuner, ne se sentait pas bien et ne savait pas dire ce qui n’allait pas. Il était sombre et presque triste. Alors je lui ai donné un Doliprane, je lui ai proposé de se recoucher, il a dormi une bonne demi-heure et au réveil le sourire était de retour. J’en ai conclu qu’il s’est réveillé avec mal à la tête.
Un inconfort peut en cacher un autre
Si on veut instaurer ou garder de la fluidité dans le quotidien, il faut veiller au confort physique du patient, commencer par surveiller les dents, les corps aux pieds, la constipation et ne pas oublier qu’un inconfort peut en cacher un autre. C’est ce qui m’est arrivé une nuit (cf: Qui êtes vous ? Je ne vous connais pas!) Daniel était constipé, mais il avait aussi mal à une dent de sagesse, ce que je n’ai compris qu’une semaine plus tard. Il avait constamment l’air préoccupé. Il avait cessé de me dire des gentillesses comme il en a l’habitude. Un matin en prenant son café chaud il a poussé un cri et a mis la main sur sa joue.
Nous étions en vacances et avons été voir une dentiste que nous ne connaissions pas. Comme toujours j’annonce que Daniel a la maladie d’Alzheimer, parce que je crois que la dentiste une fois prévenue s’y prendra avec davantage de douceur puisqu’il s’agit d’un patient très sensible. Hélas, ce n’est pas ce qui s’est produit, car la dentiste a eu peur de la maladie, elle s’est raidie et l’a traité brusquement pour conclure : « je ne peux pas le soigner, il faut l’amener à l’hôpital et lui arracher la dent! » J’ai expliqué que c’était hors de question car l’hôpital ne sait pas prendre en charge les patients Alzheimer(cf: les ravages d’un week-end à l’hôpital. ) La dentiste a eu alors la bonne idée de prescrire des antibiotiques. Le sourire de Daniel est revenu au bout de trois jours. Sa dent était infectée. Elle a été réparée à notre retour à Paris par la dentiste qui soigne Daniel depuis plusieurs années et qui a su contourner les difficultés du traitement et de la sensibilité « excessive » de Daniel.
La bonne humeur est un état naturel pour un patient Alzheimer
Pourquoi? Parce qu’ il n’a plus aucun souci à se faire: toute la complexité du monde dans le quel nous vivions lui échappe complètement. Il est vacances toute l’année. Rien ne lui plait autant que s’amuser et d’avoir des relations agréables avec des gens sympathiques. On objectera que la plus part sont agressifs et de mauvaise humeur. C’est juste que leurs besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits. Souvent on leur aménage un mode de vie dont on ne voudrait sous aucun prétexte et qu’eux subissent par la force des choses. L’inconfort permanent dans lequel ils vivent les rend de mauvaise humeur.
La justification de toutes ces souffrances, c’est qu’ils ne se rendent compte de rien, qu’ils oublient, qu’ils ne sentent rien. Comme dirait notre ami Rezvani ce sont des « morts sans cadavres », il faut faire « le deuil blanc » ajoutent certains psychologues et certaines associations. Quelle stupidité! Ou quelle hypocrisie! On ne veut pas leur donner ce dont ils ont besoin, on les prive de leur dignité et ensuite on se plaint qu’ils sont désagréables.
Les changements d’humeur ressemblent aux changement météos: « après la pluie le beau temps! ». Dans la tempête, il faut avoir foi en l’existence du beau temps. Pour se sortir des situations difficiles il ne faut pas lâcher le fil directeur de la bonne humeur du patient.
Voilà une Colette qui n’a pas peut de dire les choses !