Vivre l’empathie: témoignage d’une aide soignante

 

La personne est là.

Elle est la somme de ce qu’elle a été. Il ne faut pas l’oublier. Il y a quelque chose dans son corps qui va éteindre les grandes lumières de la réflexion, de la compréhension, de la mémoire puis celle des mots. Et les petites lumières s’éteignent à leur tour, celle des gestes du quotidien : comment se laver… L’autonomie se délite…

Tout devient difficile : parler, se faire comprendre, se déplacer. Les autres, l’entourage s’éloigne de la personne Alzheimer ou s’en détourne. L’angoisse règne tout autour mais aussi en elle.

Comment comprendre ? Comment garder son amour, son affection ? L’attitude la plus importante, l’écoute, une écoute totale : celle des mots mais aussi celle du corps, surtout quand le vocabulaire se réduit et quand la syntaxe se tortille et ne fait plus sens.Ecouter la voix, le ton de la voix, son rythme : saccadé, enjoué, neutre, angoissé, égaré.

Observer le regard de la personne.

Ce peut être un regarde qui communique, qui est heureux. Quand il n’y a plus de phrases cohérentes : chercher ce qui peut rendre heureux ce regard. Avoir en face un regard de compassion, bienveillant : « Je suis là, je vous écoute, j’écoute votre silence.» Ce silence, pour l’accompagnant, peut être très éloquent.  Mais dans la maladie d’Alzheimer il y a plein de paradoxes. Une chose vraie aujourd’hui ne sera peut-être plus vraie demain. Pas de certitudes, jamais.

C’est pour cela qu’il faut être à l’écoute, « Ouvrir ses écoutilles » toutes grandes. Le langage ne s’arrête pas à la parole bien sûr. Il y a le langage du corps, des gestes, de l’impatience des gestes, souvent dans les mains. Comment dire que l’on souhaite aller aux toilettes quand on n’a plus les mots ? Que l’on ne s’oriente plus ? Mais qu’il nous reste l’ultime autonomie de l’adulte (ne pas porter de protection) l’accompagnant doit sentir un brusque changement de rythme dans les mots, l’arrêt ou la répétition d’une séquence. Parfois, mieux vaut ne rien dire. Parce que ne pas verbaliser « Voulez-vous allez aux toilettes ? » c’est laisser à la personne sa liberté de le décider SEUL.

La promenade à la campagne

aide soignant alzheimerUne réflexion qui m’est venue au fil des moments partagés : marcher derrière la personne Alzheimer, derrière son épaule ; afin qu’elle sente notre présence, se trouver ni à coté ni derrière. Ainsi la personne a 360° degrés à l’horizon. Il n’y a personne dans son regard mais elle n’est pas dans la solitude ni dans une situation qui pourrait l’angoisser ou lui donner un ressenti d’abandon. Dans cette démarche : « se placer derrière l’épaule », la personne décide de son chemin, de ses pas, où elle pose ses pieds. Oui, toute petite autonomie gardée est importante. Pour nous la marche est un réflexe mais pour la personne Alzheimer, à force d’être guidé tout le temps, elle hésite à avancer seule.

Alors la subtilité pour l’accompagnant est de stimuler la progression « sans intervenir » comme s’il avait une énergie filoguidée qui lie les deux personnes. Ce qui rend heureux les personnes Alzheimer c’est d’être soi-même heureux d’être là avec elle. Parfois dans ces moments bénis on ressent comme un échange de bonnes ondes. Quand l’émotion prime sur l’intellect, on ne peut pas faire semblant d’être calme, semblant d’être patient. Aussi faut-il protéger la personne Alzheimer de nos propres angoisses et de nos propres incertitudes.

La peur des gens.

Les gens qui ne sont pas de l’entourage ne savent pas l’homme qu’il a été (ou la femme bien sûr) . S’ils ont peur, ils peuvent être brusques, en face d’une personne qui ne se comporte pas normalement. Ils ne savent que faire face à elle! Ouh ! Ouh ! Empathie, où es-tu ?

Cette peur à l’origine du rejet montre que l’on se trouve face à ses propres limites d’acceptation. Ne pas savoir ce que l’on va devenir ? Quand, comment, à quelle vitesse va-t-on perdre nos facultés ? Et la question : « Et nous, comment allons-vieillir ? » Le recul et le rejet révèlent la fuite devant cette question fondamentale.

Mais personne ne sait vraiment. Est-ce qu’il faut fuir pour autant devant cette incertitude ? Est-ce que l’on doit repousser la personne Alzheimer et l’abandonner dans son monde ?  Ne pas la sortir, ne pas nous en occuper ? Nous déculpabiliser : « Je ne sais pas, alors je ne veux plus la voir. Je ne peux plus rien faire. Ainsi je ne suis coupable de rien, ni de mes défaillances, ni de cet amour qui n’est plus. »

Accepter de ne pas savoir, de ne plus comprendre. Oui, je peux toujours aimer sans code convenu. Aimer par-delà les frontières. La réponse est dans le cœur. Comme dit Daniel: « Ecoute la voix de ton cœur, elle ne te trompera pas »                                                                                                                                                    Véronique Paret, aide-soignante

Nota bene.

Le rôle d’aide à domicile  n’est  pas socialement reconnu, il est même méprisé. Dommage! Ce travail est d’une grande richesse humaine, il comporte de grandes responsabilités et exige des remises en question fréquentes. Je n’ai pas eu la chance de voir vieillir mes parents, mon frère, mes oncles. Alors oui, ces personnes âgées je les écoute. Je ne suis pas leur parent mais je les respecte tout autant, et souvent ma tendresse retenue déborde.

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