Une statistique choc pour répandre la peur

Dans le domaine des statistiques il y en a qui plaisent beaucoup, elles ont l’art de frapper les esprits, de se présenter comme un résumé du savoir de notre époque. Elles ont la force de la rumeur et une longue vie devant elle.

Une statistique choc

Le 28 janvier, je suis passée dans une émission sur LCI . Au cours de l’émission, que l’on peut voir en replay,http://www.lci.fr/replay/replay-au-coeur-de-nos-differences-alzheimer-la-maladie-qui-efface-2024482.html on voit une réunion d’aidants, tranquillement assis au tour d’une table, et on entend : « Un tiers des aidants de plus de 60 ans meurent avant leur malade ». Et d’un seul coup le spectateur un peu imaginatif, et je le suis moi-même beaucoup, voit les têtes de ces braves gens tomber une à une autour de la table. Voilà une info-choc faite pour frapper les esprits et les cœurs.

Cette statistique-choc est répétée en chœur dans toutes sortes d’émissions de radio ou de télévisions, dans les informations et les formations pour les aidants. Ainsi, on continue à faire de la maladie d’Alzheimer la peste des temps modernes. Il ne faut pas s’étonner ensuite que les malades soient regardés comme des pestiférés.

A la recherche de la source

La journaliste m’a répondu que la source était France Alzheimer. J’ai interrogé son président Joël Jaouen. Il se retranche derrière la Fondation Médéric Alzheimer:  » Dans une interview  M. Bérard, sur France 2 avance lui le chiffre de 40% ! Alain BERARD est médecin de santé publique, directeur adjoint de la Fondation Médéric Alzheimer, chef de la Cellule de Coordination, Prospective et Stratégies (CCPS). Je l’interroge à son tour: quelle est sa source?

Ce sont les recommandations de la Haute autorité de Santé de févier 2010, un document de 28 pages bien denses que j’ai lu et relu. On y trouve en grand nombre de statistiques d’origine diverses,  dont aucune n’est validée scientifiquement.

Le paragraphe 1.10 donne le principe général de la gradation des recommandations. A, B ou C, un peu comme les notes que l’on donne à l’école, pour valider les statistiques. Aucune des statistiques retenues n’a été validée pas même avec un « C ». Et suit une phrase magique: « En l’absence d’études, les recommandations sont fondées sur un accord professionnel. L’absence de gradation ne signifie pas que les recommandations ne sont pas pertinentes ni utiles ».

En remettant la phrase à l’endroit, ça donne: Nous n’avons pas besoin de preuve pour affirmer ce que nous disons car nous sommes la Haute Autorité de Santé.

La formule originale

Et voila la formule source qui se trouve dans l’annexe 1 du plan Alzheimer et qui a donc presque force le loi: « Il existe un risque de surmortalité de plus de 60% des aidants dans les 3 années qui suivent le début de la maladie de leur proche. »

C’est un peu gros, ça ne fait pas forcément très sérieux,  et on voit que la formule s’édulcore petit à petit : 60% devient 40% et puis 33%.  Le risque de surmortalité concerne les aidants de plus de 60 ans (pas les autres donc), il n’est plus question des trois ans qui suivent le diagnostic, mais juste de mourir avant son aidé. Celui ou celle que vous aidez vous pousse au tombeau tout de même.

Que les aidants de patients Alzheimer aient besoin d’aide. Je le sais et c’est la motivation de ma prise de parole publique. Les aidants ont besoin avant tout d’être rassurés, d’être valorisés, de comprendre ce qui se passe et de savoir comment on peut y remédier. Or quand on a un proche atteint de cette pathologie, voici avec quelles « informations » on vous assomme:

  1. qu’il est dément (ce qui est faux), les médecins a oublié que le mot « dementia » en anglais n’a pas la connotation effrayante du mot « dément » en français.

2. que la maladie est incurable (ce qui est vrai)

3. que vous mettez votre santé en danger en augmentant de manière considérable votre risque de mourir du simple fait de prendre soin d’un patient Alzheimer (statistiques perverses à l’appui). Soyons logiques: Fumer ou boire, ou se droguer ce serait meilleur pour la santé!

4. qu’un jour il ne vous reconnaîtra pas… qu’il va vous agresser… devenir un légume… etc

Tout se passe comme si

Ces « informations » dramatiques sont répétées à l’infini par les journalistes, ceux qui font de « la formation pour les aidants », ceux qui écrivent sur la maladie, qui en parlent. La rumeur devient énorme, écrasante et elle a de quoi endommager lourdement les relations aidant-aidé.

On découvre alors que les aidants sont stressés, déprimés, malheureux en un mot. Et le corps médical a l’hypocrisie de se demander pourquoi.

Tout se passe comme si notre société ne savait plus quoi inventer pour se débarrasser à bon compte de ces personnes considérées comme de citoyens de seconde zone, des indésirables.

Tout se passe comme si les associations de patients avaient à cœur de terroriser les gens avec la maladie qu’ils sont censés prendre en charge. Le pompon revient en ce moment à l’association de cardiologie qui diffuse des pub glaçantes à la télé. Dans un but toujours le même: délier le portefeuille des peureux et faire pression sur les pouvoirs publics.

Cette statistique sert à justifier la masse d’argent public qui devrait aller au plan Alzheimer. Comme me l’écrit le président de France Alzheimer: « En ce qui me concerne je pense, au contraire, qu’en communiquant sur ces études nous devons notamment faire réagir les pouvoirs publics sur une vraie prise en charge de la maladie. »

Il apparaît clairement que cette statistique n’est pas scientifique mais politique. 

Cette statistique n’est pas prés de disparaître car notre société adore les victimes. Avec elle, tous les aidants deviennent des victimes. Alors une fois qu’ils sont bien assommés, vite volons à leur secours!!!

Mon conseil: oubliez la vilaine formule le plus vite possible, elle ne vous concerne pas, c’est de la science-fiction.

et voici l’extrait de l’émission où je suis interviewée:

https://www.facebook.com/bienvivreavecalzheimer/videos/1800204506907290/

6 réflexions sur « Une statistique choc pour répandre la peur »

  1. Magali

    Bonjour,
    Je suis votre blog avec beaucoup d’intérêt depuis longtemps et y ai trouvé du réconfort et une source d’énergie à maints reprises. J’accompagne ma belle-mère depuis 10 ans maintenant et nous essayons de l’entourer avec tout notre amour en respectant la personne qu’elle a été, celle qu’elle devient mais aussi nos propres vies.
    Pour la première fois je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous…
    J’ai entendu cette statistiques aussi et sans la prendre au pied du chiffre j’y ai plutôt vu une petite lumière d’alerte pour tous les aidants qui s’oublient en essayant d’être le plus présent possible auprès de leur proche…et ils sont nombreux, à décaler sans cesse des rdv médicaux, à éviter les sorties pour ne pas laisser leur proche seuls…
    Les discours sur la maladie deviennent plus nombreux, c’est bon signe non ?…petit à petit la parole se libère avec ses dérives certes mais les échanges se font, la parole circule…A nous aussi aidant de chercher le positif et de s’appuyer dessus pour être plus fort seul et ensemble…
    Certains établissements progressent aussi dans leur pratique et bien sur ce n’est pas parfait, et jamais la décision que l’on souhaite prendre pour soi ou son proche mais elle est parfois nécessaire et même parfois bénéfique au malade et à son entourage.
    Ma belle-mère est entourée par une équipe qui prend soin d’elle, ne l’assomme pas de médicaments, gère au mieux sa façon nouvelle de s’exprimer (la parole n’existe plus depuis qqs années, elle a chanté un moment, chant qui ressemble maintenant à de petits cris), et nous respecte en tant que famille…je ne dresse pas un tableau idyllique mais essaye de m’adapte au mieux aux évolutions qu’imposent cette satané maladie, en gardant en première ligne de front l’amour profond que je porte à ma belle-mère et l’envie de partager avec elle encore et encore…
    Merci pour votre parole et votre envie de partage

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  2. Monette

    Aïe ! Aïe! Aïe ! Voilà que mon mari et moi arrivons bientôt à la date fatidique des 3 ans ! Je ne connaissais pas cette statistique, encore une , du même acabit que la plupart des « informations » sur la maladie d’Alzheimer. Aucune autre maladie n’est traitée de la sorte …Comme vous le dites si bien, Colette,  » Les aidants ont besoin avant tout d’être rassurés, d’être valorisés, de comprendre ce qui se passe et de savoir comment on peut y remédier ». J’ai la chance de pouvoir aider mon mari, étant moi-même en bonne santé, mais je conçois que c’est plus difficile quand il s’agit de ses parents ; chacun fait ce qu’il peut, mais ferait encore mieux si le discours sur cette maladie nous permettait de renforcer l’énergie qui nous est bien nécessaire, au lieu de nous faire baisser les bras …Merci mille fois d’être notre porte-parole.

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  3. Ambre Ronceret

    Chères aidantes et chers aidants, je réagis aux propos précédents; j’ai dû placer Maman en Ehpad, car seule ; famille géographiquement écartelée et domicile vraiment inadapté sans possibilité de beaucoup l’améliorer.
    Mais j’ai insisté (très fort) pour que Maman garde son médecin traitant.
    Et ça change beaucoup de choses.
    Le médecin vient la visiter à l’Ehpad; je suis présente pour les visites (déshabillage….), ce qui rassure Maman.
    Le médecin et moi pouvons communiquer sans pression extérieure. C’est ainsi que je lui ai demandé d’arrêter les médicaments anti-Alzheimer car ils ne stabilisaient pas l’état de ma mère, bien au contraire.
    Depuis elle a retrouvé du « peps », elle n’a presque plus de vertiges…
    Je pense que conserver son médecin de famille est important pour nos malades.
    Petite défense étincelle contre la loi du « pot commun » et des ronronnements de ces lieux de fin de vie.
    Comme l’animation est quasiment absente…(manque de moyens…ils n’ont même pas le budget pour changer ordinateur et logiciels obsolètes!…)j’essaie de faire ce que je peux avec Maman et d’autres parfois: cartes, jeux coloriages…
    Bon courage à toutes et tous, malades et aidant(e)s. Et MERCI à Colette.

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  4. Christine

    J’appuie completement votre commentaire : tout ceci , quelles que soient les difficultés rencontrees par les aidants , creuse le fossé d’incompréhension et relégue la prise en charge à un sordide commerce bien lucratif , au lieu de trouver un moyen d’aider  » ceux qui aident  » et ne souhaitent pas se séparer de leur malade …

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    1. Annick

      Chère Christine,
      Merci de votre soutient sur mon commentaire, j’ai personnellement pris la décision de ne pas placer ma mère avec le soutient de mes fréres et soeurs à cause de ce commerce juteux et finalement ou les malades ne sont pas toujours bien assistés. Dans grand nombre d’établissements il manque du personnel, et ou il est plus facile de shooter les malades avec des médicaments dont on n’attend pas grand chose, dont le seul effet positif concerne surtout la tranquillité des employé(e)s.
      Je ne suis pas pessimiste de nature, mais c’est ce à quoi j’ai été confronté et mon avis n’engage que moi et les personnes de mon entourage qui y ont été également confrontées.

      Annick

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  5. Annick

    Bonjour Mme Rounanoff,

    Un grand merci pour votre artilcle très documenté et argumenté. Je salue au passage votre sens de la précision ainsi que votre pugnacité à aller au bout de ces arguments falacieux.
    Hé oui cette statistique comme sans doute d’autres, est biaisée.
    On arrive à s’interroger sur les liens entre DR M. Bérard avec Médéric Alzheimer , et le discours tendancieux de Mr Joël Jaouen
    Cette statistique nous dit ou insinue: Vous êtes aidant ? Alors votre espérance de vie est raccourcie (en gros vous allez bientôt décéder si vous prenez en charge un de vos proches).

    Donc : mieux vaut le ou la placer dans une institution (de préférence Mederic ?) … et bien entendu ….payer pour cela. Ainsi vous diminuez votre risque de décès prématuré.
    Triste mais sans doute pas si faux
    Annick

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