La bienveillance dans tous les détails

Véronique Paret est une auxiliaire de vie remarquable, elle aime beaucoup son métier et a déjà témoigné dans ce blog (vivre l’empathie)

Je l’ai interviewée cet été et elle a détaillé ses astuces de comportements qui reposent sur le désir d’induire une relation ou une complicité avec la personne malade même si les apparences ne sont pas favorables.

L’attention aux moindres détails

En arrivant, Véronique fait suivre son bonjour d’une question positive :

« Bonjour Madame, vous allez bien ? »

Cette formule est sous tendue par le message suivant : « Je suis contente d’être là, avec vous. » Elle n’attend pas la réponse et on lui répond rarement, ce qui ne l’empêche pas de continuer à parler en s’adressant à la personne malade.

Seule une bonne humeur réellement sentie, permet de faire face aux situations délicates de l’accompagnement à domicile des personnes très dépendantes. Cette bonne humeur va de pair avec une disposition bienveillante envers la personne et une attention aux moindres détails.

Véronique parle et raconte tout ce qui est fait sur le ton de la conversation. « Je vais passer la journée avec vous… je vais vous allonger les jambes très doucement… je vais vous mettre en chemise de nuit… » en donnant tous les détails les uns après les autres.

Avec Laurence, une dame de 96 ans qui a Alzheimer et un cancer généralisé : « Je vais vous passer la manche par le bras… ça va tirer un peu au niveau de la tête… Oh ! vous êtes toute ébouriffée… je vais vous recoiffer… » Comme Véronique doit passer 9 heures de temps dans une pièce de 15 mètres carrés elle a apporté du thé, du chocolat, des livres et des gâteaux. Et la conversation s’installe au moment où elle se met à lire :

Laurence : « Vous êtes là, à rien faire, ça se voit que vous faites semblant de lire ! »

Alors Véronique se met à lire à haute voix.

Laurence rit : « D’abord vous lisez trop vite… Vous faites la maîtresse d’école, alors je ne comprends rien… il faut que je retourne à l’école ! »

Véronique répond : « Pas du tout… vous êtes tout à fait philosophe… vous savez, comme Socrate, que vous ne savez rien ! »

Et elles rient toutes les deux pendant une demi-heure. Laurence n’a plus mal au ventre. La séance de fou-rire a remplacé le Spasfon.

Et Véronique ajoute : « C’est pour des moments comme cela que je fais ce métier. » Elle me raconte trois autres petites histoires tout aussi étonnantes :

1-La sortie d’école

Augustine, 92 ans se réveille inquiète de la sieste : « Vite, je dois aller chercher mes enfants à l’école ! » Cette dame avait deux garçons, tous deux morts adultes dans des conditions tragiques, cela Véronique l’ignorait.
Spontanément, elle lui répond : « Augustine, aujourd’hui nous sommes dimanche (ce qui était vrai) donc il n’y a pas d’école pour les enfants ! Tout va bien. »
Et l’angoisse se volatilise !
Augustine se lève, prend son goûter en toute sérénité.
L’astuce du dimanche peut se répéter chaque jour de la semaine !
Toutes les autres réponses, lui dire que ses enfants devenus adultes sont morts, ou qu’il y a 60 ans que la sortie d’école n’est plus dans son emploi du temps ou qu’elle ne peut pas physiquement sortir de sa chambre, seraient absurdes et violentes. Et le risque serait grand de déclencher de l’angoisse et de l’agressivité.

2- Un yaourt qui fait parler

Françoise ne parle plus ou presque. Depuis plusieurs semaines, elle garde les yeux fermés en permanence. Véronique lui raconte les tâches qu’elle accomplit.
Dans son discours, elle essaie de trouver les mots qui semblent proposer les actes en choisissant la forme interrogative. Les soins sont des suites de gestes imposés par la procédure du quotidien. Choisir la forme interrogative donne à la personne une autonomie fictive (la tâche va être accomplie dans tous les cas, comme donner le repas). Proposer en posant des questions c’est donner à la personne une marque de respect, une dignité, un pouvoir décider.
A la fin du déjeuner. Véronique prend le yaourt et la cuillère et demande à Françoise : « Madame, vous mangez votre yaourt ? »
Et alors que Véronique ne s’attend aucune réponse, Françoise ouvre les yeux et dit d’un ton affirmé : « Je ne sais pas… je ne suis pas là !  »
Surprise d’entendre cette voix qu’elle ne connaissait pas, Véronique part dans un grand éclat de rire ! La réponse lui parait d’une grande drôlerie ! Comment manger un yaourt … si on n’est pas là ?

Françoise était chef d’entreprise. Peut-être que dans ces quelques mots elle a signifié quelque chose d’important pour elle. Son yaourt fini, elle se met à chantonner.

3-Le Transfert du Lit au Fauteuil

Henriette est paralysée dans son lit. Quand Véronique arrive, elle s’annonce, lui caresse légèrement la tempe (elle faisait le même geste avec ses bébés). Ainsi la malade reçoit deux perceptions différentes la voix et le geste doux d’une caresse. Ce geste peut être un préambule pour annoncer l’action qui va suivre et signifie : « je suis là, je prends soin de vous ».
A l’heure du goûter, Véronique doit installer Henriette dans son fauteuil avec le lève-personne (c’est une sorte de grue, avec un filet, qui ressemble au baluchon de la cigogne qui porte un nouveau – né). Le transfert est une opération technique mais pas seulement. Auparavant Véronique prépare le fauteuil roulant à recevoir la malade en inclinant le dossier, en dévissant les repose pieds et les accoudoirs pour éviter les frottements qui peuvent provoquer des hématomes. Ensuite Véronique glisse le filet sous le corps de la malade, l’accroche au lève- personne. Quand elle l’actionne, elle glisse sa main sous la nuque de la malade en accompagnant le mouvement du lève-personne.
Il arrive qu’Henriette pleure lors des transferts, a-t ’elle des douleurs ? Véronique explique le déplacement du lit au fauteuil.
Dans son livre « Mr Butterfly » ‘Howard Butten, spécialiste des enfants autistes, explique que les transferts génèrent de terribles angoisses à cause des changements de lieu, de position, d’action, imposés au malade.
Véronique accompagne le mouvement du lit au fauteuil avec sa main sous la nuque d’Henriette.
A y regarder de près ce geste ressemble à celui de la maman qui soutient la nuque molle de son bébé quand elle le déplace. Véronique avec sa main fait le lien entre lit et le fauteuil.
Il y a indiscutablement dans les soins apportés aux nouveaux nés, aux enfants en bas âge ou aux enfants autistes de quoi inspirer les gestes nécessaires à l’accompagnement des personnes très dépendantes.

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